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Un budget annonciateur de changements importants à la réglementation fédérale sur le transport

12 avril 2023 Bulletin du groupe Transports Lecture de 7 min

Le budget 2023, déposé le 28 mars par le gouvernement du Canada, annonce un remaniement important du régime fédéral de réglementation du transport. Le budget fait suite à certaines recommandations formulées dans le rapport final du Groupe de travail national sur la chaîne d’approvisionnement (le « Groupe de travail ») publié le 6 octobre 2022.

Le budget introduit six mesures concernant le transport de surface (investissements, exercice de collaboration, élaboration de données pour aider les transporteurs, modification réglementaire temporaire et examen d’une loi maritime). Le gouvernement a qualifié ces mesures d’« acompte à la Stratégie nationale sur la chaîne d’approvisionnement du Canada, qui sera publiée dans les prochains mois et qui sera éclairée par les recommandations du rapport du Groupe de travail national sur la chaîne d’approvisionnement ». Nous analysons ci-dessous les nouveautés d’intérêt pour les expéditeurs de marchandises par voie ferroviaire au Canada.

Pourquoi le gouvernement répond-il aux préoccupations des expéditeurs par voie ferroviaire?

Si les Libéraux et les Conservateurs s’entendent sur un point, c’est que l’économie canadienne se porte mieux quand les expéditeurs par voie ferroviaire évoluent dans un marché concurrentiel. Malheureusement, la concurrence est pratiquement inexistante dans le secteur du transport ferroviaire. Comme l’indique le Groupe de travail :

Les chemins de fer sont la seule source de transport pour de nombreux expéditeurs, ce qui donne aux sociétés ferroviaires un pouvoir discrétionnaire en matière de prix et de services qui n’est pas compensé par les forces normales du marché[1].

Le budget ne s’attaque pas directement aux lacunes bien connues de la chaîne d’approvisionnement qui contribuent à l’inflation et aux pertes d’emplois et de bénéfices : il compte essentiellement sur une éventuelle loi qui viendra limiter le pouvoir des transporteurs ferroviaires sur les tarifs et les niveaux de service de manière à régler ces problèmes de longue date.

Prolongation de la limite d’interconnexion

Dans un précédent bulletin, nous recommandions une importante prolongation de la limite d’interconnexion, conformément à la recommandation du Groupe de travail d’étendre la distance d’interconnexion « à l’échelle du Canada afin de donner aux expéditeurs plus d’options ferroviaires et de régler les problèmes de rapport de force entre les expéditeurs et les compagnies de chemin de fer ».

Le budget se contente de proposer de « prolonger temporairement, dans le cadre d’un projet pilote, la limite d’interconnexion dans les provinces des Prairies », sans définir la nouvelle limite ni justifier le caractère probatoire de la prolongation, ou son application limitée aux Prairies.

Ce changement temporaire rappelle la Loi sur le transport ferroviaire équitable pour les producteurs de grain, adoptée en 2014, qui, comme nous l’avions déjà indiqué, avait habilité l’Office des transports du Canada (l’« Office ») à étendre la limite d’interconnexion de 30 kilomètres à 160 kilomètres dans les trois provinces des Prairies. La limite étendue est demeurée en vigueur jusqu’en 2017, après quoi le gouvernement actuel a laissé la loi venir à expiration, ce qui a rétabli la limite de 30 km partout au Canada.

La prolongation temporaire de la limite d’interconnexion aura-t-elle l’effet voulu?

La prolongation temporaire de la limite d’interconnexion réglementée n’aidera qu’un nombre limité d’expéditeurs. Seront exclus les expéditeurs qui ne peuvent se prévaloir de ce recours, notamment (i) les expéditeurs se trouvant à l’extérieur de la limite actuelle de 30 km dans les provinces autres que celles des Prairies, (ii) les expéditeurs des provinces des Prairies se trouvant à l’extérieur de la limite prolongée et (iii) les expéditeurs qui n’ont d’autre choix que d’utiliser le même chemin de fer aux points d’origine et de destination. Ces expéditeurs ont besoin d’un marché concurrentiel, que ce soit sous forme d’une réelle concurrence ou de substituts à la concurrence pour faire un tant soit peu contrepoids au pouvoir de fixation des prix et des niveaux de service dont jouissent le CN et le CP pour une grande partie de leurs réseaux au Canada.

Le projet pilote d’examen de l’interconnexion réglementée est-il nécessaire?

L’Association des chemins de fer du Canada (« ACFC ») a publié un communiqué[2] en réponse au budget contenant plusieurs affirmations réfutables au sujet des conséquences de la prolongation de la limite d’interconnexion réglementée.

  • Congestion : Rien ne porte à croire que la prolongation de la limite d’interconnexion engendrera de la congestion, comme l’avance l’ACFC. Au contraire, le CN et le CP conserveront leur emprise sur le marché en empêchant les expéditeurs d’accéder à un autre chemin de fer. Même s’il y avait preuve de congestion, le CN et le CP pourraient résoudre le problème en offrant des tarifs et des conditions de service concurrentiels. Les expéditeurs appuient la recommandation du Groupe de travail d’étendre la distance d’interconnexion « à l’échelle du Canada afin de donner aux expéditeurs plus d’options ferroviaires et de régler les problèmes de rapport de force entre les expéditeurs et les compagnies de chemin de fer[3]».
  • Frein à l’investissement privé : L’ACFC agite souvent cet épouvantail. Or, l’introduction de la concurrence dans un marché a souvent l’effet contraire. En offrant des tarifs et des niveaux de service concurrentiels, le CN et le CP enverraient des signaux de prix favorisant la prise de bonnes décisions d’investissement de la part des expéditeurs par voie ferroviaire. En l’état actuel des choses, le CN et le CP investissent dans leur infrastructure de manière à optimiser leurs réseaux, au détriment de la chaîne d’approvisionnement dans son ensemble.
  • Efficacité, capacité et fiabilité Le projet pilote n’est pas nécessaire. Le volume de trafic ferroviaire transféré d’un chemin de fer à l’autre dans le cadre de la prolongation temporaire de la limite d’interconnexion réglementée (160 km) en vigueur de 2014 à 2017 était négligeable. Selon l’information fournie par l’Office au

Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités de la Chambre des communes en 2016[4], à peine 600 wagons ont été transférés en interconnexion au-delà du rayon de 30 km durant les six derniers mois de 2014 (année durant laquelle plus de 4 millions d’envois en wagon ont circulé sur les chemins de fer canadiens[5]). Ce nombre est passé à environ 2 900 en 2015, ce qui représente 0,1 % de tous les envois en wagon, et moins de 0,6 % de tous les chargements de céréales originaires du Canada cette année-là. S’il existe des données probantes confirmant l’existence d’effets négatifs sur l’efficacité, la capacité ou la fiabilité, elles n’ont pas été publiées.

Et les autres expéditeurs? 

Même si la prolongation de la limite d’interconnexion permettait à une poignée d’expéditeurs des Prairies d’utiliser plus d’un chemin de fer pour transporter leur marchandise, les autres expéditeurs par voie ferroviaire ne seraient pas plus avancés. Notre recommandation, soit augmenter la limite à 1 200 km dans tout le Canada, placerait certains expéditeurs dans une situation de duopole, mais n’aiderait vraisemblablement pas ceux qui n’ont d’autre choix que d’utiliser le même chemin de fer aux points d’origine et de destination.

Ces derniers ont aussi besoin d’un recours. Or, il existe de nombreuses solutions à ce problème important, qui contribue à l’inflation tout en minant la productivité. Pour commencer, nous recommandons d’éliminer les recours inefficaces et de les remplacer par ceux qui fonctionnent.

Éliminer l’interconnexion de longue distance

Le projet de loi C-49 (la Loi sur la modernisation des transports) a établi un nouveau recours, l’interconnexion de longue distance (ILD). Comme nous l’avions souligné en mai 2017, l’ILD est un recours des plus limités. En effet, bon nombre d’expéditeurs et d’associations d’expéditeurs ont exprimé des doutes quant à son utilité durant le processus législatif plutôt que d’applaudir son introduction, comme l’avance l’ACFC[6]. De fait, aucun expéditeur n’a déposé de demande d’ILD depuis sa mise en œuvre il y a cinq ans. Nous recommandons l’élimination du recours d’ILD sans délai.

Corriger les recours existants

L’élaboration d’une liste complète de recommandations dépasse le cadre du présent bulletin, mais il y aurait certainement lieu de corriger les recours que le CN et le CP ont rendus inefficaces ou qui n’atteignent pas leur objectif. Ces corrections doivent tenir compte des années d’incapacité à réaliser l’objectif de longue date de la politique nationale sur le transport pour corriger le fait que le pouvoir des compagnies ferroviaires n’est « pas compensé par les forces normales du marché ».

Des tarifs ferroviaires excessifs

L’ACFC a affirmé à plusieurs reprises que le CN et le CP [traduction] « offrent les tarifs de transport ferroviaire les plus bas parmi les principales nations commerçantes… ce qui est indicatif de la saine concurrence entre les compagnies ferroviaires canadiennes[7] ». Un précédent communiqué de l’ACFC

renvoyait à un rapport de la société de conseil CPCS faisant des affirmations similaires[8]. Or, la méthodologie employée dans ce rapport était déficiente. Notamment, dans le cadre de l’analyse effectuée, la comparaison des tarifs ferroviaires canadiens à ceux d’autres pays n’était pas faite en fonction de trafics comparables. L’importance de ce principe est reconnue de longue date au Canada, notamment dans le rapport publié en 2021 par le Comité d’examen de la Loi sur les transports au Canada[9]. Ainsi, le rapport de CPCS met en comparaison les données sur les chemins de fer de pays où les déplacements se font généralement sur de courtes distances avec les tarifs ferroviaires canadiens, où les trajets sont en moyenne beaucoup plus longs. L’ACFC sait parfaitement qu’une telle comparaison ne tient pas la route[10].

Obligation de communiquer des données 

Le budget propose aussi d’apporter des modifications à la Loi sur les transports au Canada afin de donner au ministre des Transports « le pouvoir d’obliger les expéditeurs qui utilisent des services de transport sous réglementation fédérale à communiquer des données ». Le budget n’indique toutefois pas :

  1. l’ampleur des données que les expéditeurs devront communiquer;
  2. le volume minimum déclenchant l’obligation de communiquer les données;
  3. les destinataires des données;
  4. l’utilisation prévue des données.

Selon nous, cette obligation est prématurée, voire inutile. Transport Canada ferait mieux de concentrer ses efforts sur l’évaluation et la communication de la capacité réelle de l’infrastructure ferroviaire, ce dont nous traitions dans notre bulletin de janvier 2023, avant d’obliger les expéditeurs à communiquer davantage de données ou de consacrer des fonds publics à la construction d’infrastructure dont l’utilité est impossible à déterminer.

[1] Rapport du Groupe de travail, page 18.
[2] Voir le communiqué de l’ACFC du 28 mars 2023 : Canada’s Railways Respond to Budget 2023.
[3] Rapport du Groupe de travail, page 18.
[4] Témoignages / Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités, 42e législature, 1re session, 20 septembre 2016, p. 4 et p. 8.
[5] Voir le document Rail Trends | 2016.
[6] Voir Expanding Regulated Interswitching? Bad for supply chains. Bad for everyone.
[7] Voir le communiqué de l’ACFC du 28 mars 2023 : Canada’s Railways Respond to Budget 2023.
[8] Voir le communiqué de l’ACFC du 13 mars 2023 : Independent report confirms Canada’s freight railways are among world’s lowest cost to shippers.
[9] Voir Vision fondée sur l’équilibre, Rapport du Comité d’examen de la Loi sur les transports au Canada, juin 2001, page 82 (le Rapport du Comité d’examen de la Loi sur les transports au Canada) : « Lorsqu’il recensera le trafic dont les recettes serviront à calculer le PCC, l’Office devra s’assurer qu’il compare des éléments comparables en ce qui a trait au trafic, aux distances parcourues, au niveau de service offert et aux conditions de transport. »
[10] Voir Vision fondée sur l’équilibre, page 82: « […] en raison du caractère dégressif des tarifs, les recettes par tonne-kilomètre seraient plus faibles pour les longs parcours que pour les parcours plus petits ». La note 5 à la page 98 en dit plus long sur ce point : « En général, dans le transport ferroviaire, les deux éléments les plus coûteux, par tonne-kilomètre, sont respectivement la prise en charge du trafic sur une voie d’évitement de l’expéditeur et son acheminement jusqu’à l’embranchement du destinataire ou à un lieu de correspondance avec un transporteur de liaison. En revanche, les frais de transport de marchandises de bout en bout, par tonne-kilomètre, sont beaucoup moindres. Comme les frais de manœuvre du point d’origine au point de destination sont répartis sur un plus grand nombre de kilomètres lorsque les déplacements sont plus longs, le coût (et les recettes) par tonne-kilomètre sont inférieurs dans le cas des trajets relativement longs. Ce qui précède explique le régime des taux dégressifs ».

par le groupe Transports de McMillan

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2023

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