Un promoteur a gain de cause contre un arrondissement de Montréal suivant le refus de celui-ci de lui délivrer un permis de construction dans le contexte d’un plan d’implantation et d’intégration architectural (PIIA)
Un promoteur a gain de cause contre un arrondissement de Montréal suivant le refus de celui-ci de lui délivrer un permis de construction dans le contexte d’un plan d’implantation et d’intégration architectural (PIIA)
La Cour supérieure du Québec[1] s’est récemment prononcée sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un conseil d’arrondissement dans le contexte de l’analyse d’une demande de permis de construction dans un secteur sujet à la procédure relative aux plans d’implantation et d’intégration architectural (PIIA). Comme nous le verrons, la Cour a accueilli la demande du promoteur lésé en concluant que l’arrondissement avait pris sa décision (soit le refus d’émettre le permis) en fonction de considérations non pertinentes et avait erré de façon déraisonnable dans son analyse du projet.
Nous retenons notamment de cette décision qu’un promoteur, dans le contexte de la procédure PIIA, a intérêt à accueillir les suggestions d’une ville à l’égard de son projet, mais devrait garder à l’esprit que celle-ci ne peut lui imposer un « idéal » de projet et qu’elle doit faire preuve de cohérence dans ses attentes.
La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme permet, depuis plusieurs années, à une municipalité (ou un arrondissement dans le cas de la Ville de Montréal) d’« assujettir la délivrance de permis de construction ou de lotissement ou de certificats d’autorisation ou d’occupation à l’approbation de plans relatifs à l’implantation et à l’architecture des constructions ou à l’aménagement des terrains et aux travaux qui y sont reliés »[2]. Pour ce faire, la municipalité doit adopter un règlement municipal et celui-ci doit notamment « déterminer les objectifs applicables à l’implantation et à l’architecture des constructions ou à l’aménagement des terrains, ainsi que les critères permettant d’évaluer si ces objectifs sont atteints »[3].
Se prévalant de ce pouvoir, l’Arrondissement Plateau Mont-Royal a adopté, en 2005, le Règlement sur les plans d’implantation et d’intégration architecturale (2005-18) (le « Règlement »).
La demande de permis dont il était question avait été présentée à l’automne 2019. Le projet immobilier visé consistait en un immeuble à logements de plusieurs étages prenant la forme de lofts. Le projet, qui était en tout point conforme au règlement de zonage applicable, ne nécessitait aucune dérogation, tant en ce qui a trait au coefficient d’occupation du sol, au taux d’implantation, aux marges de recul et aux nombre d’étages. De plus, le promoteur avait fait appel à un architecte familier avec le secteur pour la conception du projet.
Selon le Règlement, le projet devait d’abord être étudié par la Direction du développement du territoire et des études techniques (la « Direction ») de l’Arrondissement, pour ensuite être présenté au Comité consultatif d’urbanisme (le « CCU ») puis au Conseil d’arrondissement pour décision par voie de résolution. Le CCU est composé de 13 membres dont trois élus et des professionnels en aménagement, en architecture et en urbanisme.
La Direction, suivant son analyse initiale de la demande de permis, a présenté un avis défavorable au CCU en janvier 2020. Elle y indiquait que quatre éléments en particulier devrait être revus pour rendre le projet acceptable, notamment au plan architectural, des matériaux et l’historique du site.
Le CCU a appuyé l’analyse de la Direction et a, lui aussi, émis un avis défavorable essentiellement pour les mêmes motifs.
Le promoteur a alors entrepris un dialogue avec l’Arrondissement, qui s’est échelonné sur plusieurs mois. Le promoteur, comme l’a noté la Cour, s’est montré à l’écoute des suggestions de l’Arrondissement et a modifié son projet pour tenir compte de plusieurs d’entre elles. À titre d’exemple, se fondant sur les conclusions d’une étude historique commandée à ses frais, le promoteur a mandaté son architecte pour qu’il conçoive une nouvelle façade qui constituerait un rappel de la situation qui prévalait auparavant.
La Cour retient ce qui suit de ces échanges : « De l’ensemble de ses échanges, [le promoteur] et son consultant sentaient que l’arrondissement visait un certain idéal. On l’invitait même à vendre. Autrement dit, l’expectative du promoteur ayant présenté un projet entièrement conforme au zonage, soucieux de s’implanter et de s’intégrer harmonieusement, sur le plan architectural, dans un secteur très bigarré, comptait pour très peu. La recherche d’un certain projet, peu défini mais néanmoins idéalisé, prenait le dessus. Bref, la ville était prête à attendre le bon projet. On encourageait le promoteur à « laisser travailler son architecte », tout en lui imposant une certaine conception de ce qui était requis. »
Le promoteur a déposé un projet modifié en octobre 2020. En décembre 2020, la Direction a exprimé à nouveau un avis défavorable, avis appuyé par le CCU. En mars 2021, le conseil d’arrondissement a refusé de délivrer permis. Sa décision se lit comme suit :
ATTENDU QUE lors des séances du 14 janvier et du 1er décembre 2020, le comité consultatif d’urbanisme a émis une recommandation défavorable à la proposition conformément au Règlement sur les plans d’implantation et d’intégration architecturale (2005-18);
ATTENDU QUE la proposition s’avère non conforme à plusieurs objectifs et critères du Règlement sur les plans d’implantation et d’intégration architecturale (2005-18), plus spécifiquement au fascicule d’intervention numéro 1 sur les agrandissements et nouvelles constructions, notamment aux critères 1, 4, 12, 20, 21, 23, 24, 28, 30 et 32, tel que spécifié au sommaire décisionnel, et que conséquemment l’immeuble proposé, par son traitement architectural et sa relation avec le cadre bâti existant, manque de finesse et ne s’intègre pas de façon harmonieuse aux bâtiments adjacents et ne s’inspire pas de leur rythme;
ATTENDU QUE l’immeuble proposé, par son traitement architectural et sa relation avec le cadre bâti existant, ne s’intègre pas de façon harmonieuse aux bâtiments adjacents et ne s’inspire pas de leur rythme;
CONSIDÉRANT l’attestation de conformité rendue par le directeur et son équipe de la Direction du développement du territoire et des études techniques.
Il est […] résolu :
De refuser les dessins […] faisant l’objet de la demande de permis numéro […].
ADOPTÉE À L’UNANIMITÉ
Voyons maintenant les principales conclusions de la Cour.
Celle-ci a d’abord rappelé que le pouvoir des municipalités d’adopter un règlement portant sur les PIIA leur permettait de se doter d’un mécanisme par lequel elles pouvaient exercer un contrôle d’ordre qualitatif sur un projet immobilier (par opposition à une analyse purement quantitative ou mathématique). Ce pouvoir, selon la Cour, est discrétionnaire. Dans l’exercice de ce pouvoir, le conseil d’arrondissement « est appelé à discerner, à distinguer, dans l’application des facteurs qu’il prend en considération, ce qui relève légitimement de la mission qui lui est confiée, par opposition à ceux qui sont étrangers à cette mission. ». Il ne peut se fonder sur des considérations non pertinentes et étrangères à sa mission, même s’il le fait de bonne foi.
La Cour distingue ensuite le pouvoir du conseil d’arrondissement du pouvoir exercé par un seul individu. Le pouvoir du conseil s’exerce de manière collective. Par conséquent, la Cour devait « qualifier le processus de manière plus globale » et ainsi « considérer si le processus décisionnel dans son ensemble a été teinté par le vice qui est allégué ». Autrement dit, « [i]l s’agit d’apprécier ce qui a pesé dans la décision. S’il s’agit de facteurs non pertinents, la décision, bien que discrétionnaire, n’en sera pas moins déraisonnable ».
La Cour conclut que la décision du conseil d’arrondissement refusant le permis demandé par le promoteur est déraisonnable, pour des raisons qu’elle regroupe en deux catégories : « D’une part, la décision se trouve empreinte d’une volonté d’imposer un certain idéal au promoteur, ce qui va au-delà des critères qui doivent être pris en compte. D’autre part, la décision comporte certaines erreurs déraisonnables qui, de toute évidence, ont été déterminantes dans la décision de rejeter la demande de permis. »
En ce qui concerne la première catégorie, la Cour est d’avis que le règlement ne permettait pas à l’arrondissement d’exiger un projet « de grande qualité », voire même le « meilleur projet », notamment « en termes de gabarit, d’implantation, de matérialité, de hauteur, en fonction de l’environnement immédiat ». La Cour reconnaît qu’un projet en tout point conforme aux règles de densité et aux autres exigences d’urbanisme ne garantit pas qu’il sera jugé conforme dans le contexte de l’analyse du PIIA, mais elle ajoute que l’application de ce cadre qualitatif ne peut pas avoir pour effet d’ajouter certaines contraintes dans ces mêmes paramètres. De manière plus spécifique, la Cour retient de la preuve que la décision a été prise « en fonction de l’impression que le projet « ne contribue pas à l’évolution du milieu » et n’était « pas conforme aux orientations, plans et politiques », ce qui va au-delà de la vocation du régime des PIIAs.
Parmi les éléments soutenant cette conclusion de la Cour, on note le fait que l’arrondissement a invité le promoteur à s’inspirer d’autres immeubles sur l’avenue où se trouve le projet, lesquels étaient pourtant assujettis à un zonage différent de même que le par le fait que la Direction se soit ouvertement dite prête à attendre des années un projet sur le site qui pourrait susciter l’adhésion de la ville. En résumé, selon la Cour, « on avait des idées, qui sont devenues des suggestions, ensuite des attentes et, enfin, autant de critères fondant le refus [du permis]»
En ce qui concerne la deuxième catégorie de motifs, la Cour est d’avis que la décision recèle des erreurs manifestes d’appréciation. La ville a, entre autres, critiqué certains aspects du projet révisé qui avaient été proposés par le promoteur justement pour répondre aux exigences de la ville. À titre d’exemple, l’arrondissement a reproché au promoteur de ne pas avoir prévu « des espaces extérieurs appropriables et accessibles depuis un espace de vie ». Or, la solution proposée, soit un balcon par unité, conjugué avec une grande terrasse verdie sur le toit, était la solution la plus réaliste dans les circonstances mais a été rejetée par l’arrondissement. En effet, un espace vert propre à chaque logement n’est tout simplement pas réaliste. La Cour commente cet exemple comme suit : « Un pouvoir décisionnel a beau être discrétionnaire; encore faut-il éviter d’exiger l’impossible et indique « qu’il faut sanctionner une faille logique claire ».
La Cour résume ainsi son raisonnement : « Il ne s’agit ni d’une simple querelle de bon goût dans laquelle le Tribunal n’est pas appelé à s’immiscer. Il s’agit de constater que le conseil d’arrondissement, à partir des avis provenant de la Direction et du CCU, n’a tout simplement pas saisi l’effort fait par le promoteur pour refléter le rythme historique des trois lots d’origine et pour agencer les matériaux de la façade avec l’environnement. »
Cette décision est, dans une certaine mesure, rassurante pour les promoteurs dont un projet est assujetti à un PIIA. En effet, les enseignements de la Cour leur fournissent des balises pour mieux apprécier les commentaires et avis exprimés par les représentants des autorités municipales et prendre action à la suite de ceux-ci.
[1] 3470 Parc inc. c. Ville de Montréal (arrondissement du Plateau-Mont-Royal) 2022 QCCS 3775
[2] Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, RLRQ, c. A-19.1, art. 145.15
[3] Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, RLRQ, c. A-19.1, art. 145.16
par Martin Thiboutot
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
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