Une modification de zonage visant la protection de l’environnement peut être la source d’une expropriation déguisée
Une modification de zonage visant la protection de l’environnement peut être la source d’une expropriation déguisée
Une modification à la règlementation municipale de zonage qui vise un objectif de conservation peut entraîner une expropriation déguisée et forcer la municipalité à indemniser le propriétaire du terrain visé, selon un jugement de la Cour d’appel du Québec confirmé récemment par le refus de la Cour suprême du Canada d’entendre la cause.
Cette affaire opposait la Ville de Mascouche à la propriétaire d’un terrain boisé situé dans cette ville de la couronne-nord de Montréal, dont la valeur est estimée à plus de 4 millions de dollars. La propriétaire du terrain avait fait l’acquisition de celui-ci en 1976 pour la somme d’un dollar (1$), dans un objectif d’investissement. En 2006, la ville a adopté un règlement de zonage en vertu duquel un zonage de type « conservation » a été appliqué au terrain en question, avec pour effet d’y interdire toute construction et d’y limiter les usages permis aux activités sylvicoles et acéricoles et à certains usages récréatifs.
Après avoir pris connaissance de cette modification au zonage du terrain au printemps 2008, la propriétaire a entrepris des discussions avec la ville afin que celle-ci modifie le zonage de son terrain ou qu’elle l’acquiert. Ces discussions entre les parties se sont échelonnées sur plusieurs années au cours desquelles différents scénarios ont été envisagés. La ville a même exprimé publiquement sa volonté d’acquérir le terrain entre 2014 et 2016. Ce faisant, la ville a créé puis maintenu un espoir raisonnable chez la propriétaire qu’elle procéderait à une modification du zonage ou à l’expropriation du terrain. Ces discussions se sont terminées le 8 février 2016 lorsque la ville a informé la propriétaire qu’elle n’avait pas l’intention d’acquérir le terrain. Ces échanges continus et les déclarations publiques de la Ville ont amené la Cour d’appel à confirmer que la cause d’action n’avait pu se cristalliser avant cette date et c’est donc celle-ci qui a marqué le début de la période de prescription du recours, près de 10 ans après l’adoption du règlement ayant modifié le zonage du terrain.
La décision de la Cour d’appel rappelle plusieurs principes importants en matière d’expropriation déguisée, qui découle de l’article 952 du Code civil du Québec :
952. Le propriétaire ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est par voie d’expropriation faite suivant la loi pour une cause d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité.
D’abord, l’expropriation déguisée peut résulter soit 1) d’un règlement restrictif (généralement en matière de zonage) ou 2) de la combinaison d’un tel règlement et de l’appropriation physique d’un immeuble par l’organisme public à qui l’expropriation est reprochée. De plus, c’est l’effet – au plan factuel – du règlement subi par le propriétaire qui est déterminant. Par conséquent, le fait que le règlement soit valide au plan juridique n’est pas un obstacle pour conclure à l’expropriation déguisée.
En ce qui concerne les usages résiduels découlant de la modification de zonage, la Cour d’appel a confirmé que même si le zonage tel que modifié ne privait pas la propriétaire de toute utilisation, ce qu’il lui restait comme usage potentiel était suffisamment limité pour conclure qu’elle était désormais privée de toute utilisation « raisonnable » de son terrain. La Cour d’appel a par ailleurs souligné que l’article 113 (12.1) de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, bien qu’il permette à une municipalité de « régir ou restreindre la plantation ou l’abattage d’arbres afin d’assurer la protection du couvert forestier et de favoriser l’aménagement durable de la forêt privée » ne permettait pas à celle-ci de prohiber tout usage du sol.
La Cour d’appel devait aussi se pencher sur la question de l’évaluation du terrain. Elle a ainsi rappelé que celle-ci devait être établie en fonction du zonage dont bénéficiait le terrain en vertu de la règlementation en vigueur avant celle ayant mené à l’expropriation déguisée. Cela dit, en raison des circonstances particulières du dossier, la Cour d’appel a déterminé que la valeur de l’indemnité devait être calculée au 8 février 2016, soit la date où la ville avait informé la propriétaire qu’elle n’acquerrait pas le terrain. Selon la Cour, il s’agissait de la plus équitable pour le propriétaire exproprié et la plus conforme au principe selon lequel l’indemnité doit tenir compte de l’entièreté de la perte du propriétaire. Comme la Cour d’appel n’avait pas en main les éléments de preuve requis pour statuer sur la valeur du terrain, le dossier a été retourné à la Cour supérieure qui statuera sur ce volet.
À première vue, cette décision pourrait être perçue comme imposant un obstacle juridique aux municipalités qui souhaitent adopter des mesures visant la protection de l’environnement sur leur territoire. Toutefois, la Cour d’appel y reconnaît expressément le rôle important des municipalités en matière de protection de l’environnement, notamment par l’entremise de leur pouvoir de zonage, et rappelle que des mesures visant cette fin peuvent valablement avoir pour effet d’imposer une charge supplémentaire aux propriétaires. La Cour énonce cependant une limite à la marge de manœuvre des municipalités : cette charge pour le propriétaire, si elle rencontre les critères de l’expropriation déguisée, lui donnera le droit d’être indemnisé conformément à l’article 952 du Code civil du Québec.
Par ailleurs, cette décision met en lumière l’importance des communications claires entre les propriétaires de terrain et les représentants d’une municipalité dans un contexte de changement de zonage et de l’utilisation par la municipalité d’un terrain privé, par exemple à des fins récréatives.
par Martin Thiboutot
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