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Qui est visé par la nouvelle réglementation canadienne des paiements de détail?

May 31, 2021 Bulletin sur les services financiers Lecture de 8 min

La Loi sur les activités associées aux paiements de détail

Le gouvernement fédéral a déposé un projet de loi visant à encadrer les fournisseurs de services de paiement de détail au Canada. En effet, la fort attendue Loi sur les activités associées aux paiements de détail (la « LAAPD ») fait partie de la loi d’exécution du budget 2021 (projet de loi C-30), qui a franchi l’étape de la deuxième lecture le 27 mai 2021. La LAAPD a pour objet d’établir un cadre de surveillance des activités associées aux paiements de détail, comme l’avait initialement annoncé le ministère des Finances en 2017 dans un document de consultation intitulé « Un nouveau cadre de surveillance des paiements de détail » (le « document de consultation de 2017 »). À cet effet, elle arrête les grandes lignes de la régie des activités associées aux paiements de détail au Canada, les détails en étant laissés aux règlements (les « règlements ») que prendra le ministère des Finances et aux lignes directrices (les « lignes directrices ») qu’adoptera la Banque du Canada (la « BDC »), désignée autorité de contrôle par la LAAPD.

Pour les participants du marché des paiements de détail, il s’agira avant tout d’établir s’ils tombent sous le coup de la LAAPD et, pour ce faire, s’ils doivent s’enregistrer conformément à ses dispositions. Ce bulletin présente un aperçu de la LAAPD ainsi que certains des facteurs permettant de déterminer si l’enregistrement s’impose en vertu de celle-ci.

Paiements de détail

Il se peut que le terme « paiement de détail » suscite une certaine confusion parmi les participants du marché. Il ne s’entend pas de paiements faits par des clients, mais s’emploie plutôt (p. ex. par le Comité sur les systèmes de paiement et de règlement de la Banque des règlements internationaux) pour distinguer les systèmes de paiement servant au transfert de sommes considérables entre des participants d’importance systémique sur le marché (souvent appelés « systèmes de paiement de montant élevé ») de ceux qu’utilisent les consommateurs, les entreprises et les gouvernements pour transférer des sommes moindres, notamment afin d’acheter des biens ou des services ou de verser au gouvernement des sommes qui lui sont dues (des « systèmes de paiement de petit montant »).

Si les systèmes de paiement de montant élevé sont souvent exploités ou contrôlés par des banques centrales ou d’autres instances publiques, les systèmes de paiement de petit montant le sont presque exclusivement par des participants du secteur privé. Cette différence se reflète dans la finalité de leurs cadres respectifs : la réglementation des systèmes de paiement de montant élevé vise normalement à identifier ou à atténuer les risques systémiques, et celle des systèmes de paiement de petit montant, à protéger les utilisateurs finaux (particulièrement lorsque leurs fonds sont détenus par un participant dans un système de paiement de détail) et à encourager l’innovation dans le secteur. Bien que la LAAPD fasse mention de ces deux objets dans son préambule, c’est manifestement à la prévention des risques à la sécurité nationale, chef de compétence fédéral au Canada, qu’elle est dédiée. Reste à voir si les provinces réglementeront elles aussi ce secteur dans une optique de protection du consommateur.

Portée

La LAAPD est d’une portée à la fois très grande et bien définie. Elle s’applique effectivement à toute « activité associée aux paiements de détail » effectuée soit par un « fournisseur de services de paiement » (un « FSP ») ayant un établissement commercial au Canada, soit pour un « utilisateur final » au Canada (chacun de ces cas de figure étant décrit ci-dessous) par un FSP qui n’a pas d’établissement commercial au pays, mais offre des activités associées aux paiements de détail à l’intention de personnes physiques ou d’entités se trouvant au Canada. C’est donc un territoire concret (soit tout le Canada) que couvre la LAAPD, que ce soit en raison de l’utilisateur final, du FSP ou des deux. Pour ce qui est des FSP réglementés à l’étranger qui font affaire avec des utilisateurs finaux canadiens, peut-être le gouvernement fédéral envisagera-t-il une sorte de cadre de substitution (en particulier pour les cas où les utilisateurs finaux sont des entreprises, et non des consommateurs).

Cela concorderait avec les autres cadres réglementaires des secteurs financiers provinciaux et fédéral, qui tiennent compte de la taille relativement modeste du marché canadien et de la nécessité que les firmes étrangères puissent le pénétrer sans avoir à composer avec une réglementation intégrale. Reste à voir si les règlements ou les lignes directrices mettront un tel régime sur pied.

Utilisateurs finaux et FSP

Le terme « utilisateur final » s’entend d’une personne physique ou d’une entité qui utilise un service en qualité de payeur ou de bénéficiaire; il peut donc s’agir d’un consommateur comme d’une entreprise, pour autant qu’ils soient clients. S’il y a lieu de les distinguer, il faudra donc le faire à même les définitions des règlements ou des lignes directrices.

Quant à lui, le terme « fournisseur de services de paiement » s’entend d’une personne physique ou entité qui exécute une fonction de paiement dans le cadre d’un service ou d’une activité commerciale qui n’est pas accessoire à un autre service ou à une autre activité commerciale. La question à savoir si une fonction de paiement est accessoire à l’activité principale d’un FSP semble de prime abord reposer sur une analyse fortement factuelle. Si les règlements et les lignes directrices ne viennent pas clarifier la chose, il y aura lieu de s’attendre à toutes sortes d’interprétations à ce sujet. Par exemple, comment devrait-on traiter la société qui offre, d’une part, des services de covoiturage et de livraison par l’intermédiaire de centaines de prestataires indépendants et, d’autre part, un portefeuille dans lequel accumuler des crédits pouvant servir à payer ces prestataires? La fonctionnalité de paiement est-elle accessoire aux services, ou est-elle plutôt la composante essentielle de ceux-ci, celle qui attire les clients et les prestataires? Ces questions sont chose commune dans les territoires qui réglementent les systèmes de paiement de détail; aussi le régime canadien devra-t-il y répondre à son tour.

Activités associées aux paiements de détail et fonctions de paiement

Le terme « activité associée aux paiements de détail » est défini comme étant une « fonction de paiement » exécutée relativement à un transfert électronique de fonds en monnaie canadienne ou étrangère ou au moyen d’une unité qui respecte les critères prévus par règlement. À l’aube d’une généralisation des paiements en cryptomonnaie, la LAAPD est le premier régime à potentiellement envisager ce type de transaction dans le contexte d’activités associées aux paiements de détail.

Une « fonction de paiement » désigne, selon le cas :

  • la fourniture ou la tenue d’un compte détenu au nom d’un ou de plusieurs utilisateurs finaux en vue d’un transfert électronique de fonds;
  • la détention de fonds au nom d’un utilisateur final jusqu’à ce qu’ils soient retirés par celui-ci ou transférés à une personne physique ou à une entité;
  • l’initiation d’un transfert électronique de fonds à la demande d’un utilisateur final;
  • l’autorisation de transfert électronique de fonds ou la transmission, la réception ou la facilitation d’une instruction en vue d’un transfert électronique de fonds;
  • la prestation de services de compensation ou de règlement.

Cette définition est plutôt large, la LAAPD entendant par « transfert électronique de fonds » un placement, un transfert ou un retrait de fonds effectué par voie électronique et initié par une personne physique ou une entité ou en son nom.

Exclusions

Activités exclues

Certaines entités et activités échappent à l’empire de la LAAPD, et n’ont donc pas à s’enregistrer en vertu de celle-ci. Par exemple, le transfert électronique de fonds effectué par un marchand – ou par un émetteur qui n’est pas un fournisseur de services de paiement et qui a conclu un accord avec un groupe de marchands – et qui permet au détenteur de l’instrument d’acquérir des biens ou des services uniquement du marchand ou du groupe de marchands ne tombe pas sous le coup de la LAAPD. On peut notamment penser aux cartes-cadeaux, aux cartes de paiement émises par un marchand et aux portefeuilles liés à l’application d’un marchand. L’exclusion relative aux instruments émis par le marchand (communément appelée l’exemption de la « boucle fermée ») semble assez claire et facile à appliquer en pratique. On ne peut toutefois pas en dire autant de l’exclusion relative aux instruments issus d’un émetteur et acceptés par un groupe de marchands, également appelée l’exemption du « réseau limité ». Dans les faits, à moins que de plus amples directives d’interprétation ne soient fournies, les critères relatifs constitutifs d’un tel réseau de marchands seront difficiles à établir. On s’attend généralement à ce que l’exemption du réseau limité vise les instruments qui s’apparentent aux cartes-cadeaux de centres commerciaux, mais elle pourrait aussi s’appliquer à un vaste marché en ligne comptant des milliers de marchands (p. ex. un portefeuille électronique pour eBay ou pour Kijiji), ou encore à l’exemple précédent de la société offrant des services de covoiturage et de livraison. Elle pourrait s’avérer beaucoup plus permissive que ce que souhaitait le législateur, particulièrement si les critères permettant de qualifier un émetteur de FSP demeurent nébuleux.

Par ailleurs, l’exécution d’une fonction de paiement en vue de donner effet à un « contrat financier admissible » au sens de la Loi sur la Société d’assurance-dépôts du Canada (habituellement un paiement lié à un produit dérivé de change, les autres versements de ce type passant normalement par un système de paiement de montant élevé) et le retrait de devises à un guichet automatique sont exclus. Le sont aussi les activités associées à des paiements de détail effectuées entre entités affiliées (ce qui permet aux entreprises de mettre sur pied des systèmes de trésorerie internes sans se soucier de la réglementation). Enfin, toute activité associée aux paiements effectuée au moyen d’un système désigné à l’article 4 de la Loi sur la compensation et le règlement des paiements (c.-à-d. un système de paiement de montant élevé) n’est pas régie par la LAAPD. Cette exemption est ce qui en limite la portée aux systèmes de paiement de petit montant.

Entités exclues

Figurent parmi les entités qui correspondent à la définition de FSP, mais échappent à l’application de la LAAPD (ainsi qu’à l’obligation de s’enregistrer en vertu de celle-ci) les institutions financières réglementées fédérales et provinciales comme les banques, les banques étrangères, les coopératives de crédit, les sociétés d’assurance, les sociétés de fiducie et les sociétés de prêt. L’Association canadienne des paiements et la Banque du Canada sont elles aussi exemptées. Ces entités sont déjà assujetties à un contrôle gouvernemental et régies par d’autres lois.

Les mandataires de FSP bénéficient également d’une exemption, dans la mesure où celles-ci fournissent des renseignements à leur sujet dans le cadre du processus d’enregistrement. Cette exemption ressemble beaucoup à celle applicable aux mandataires d’entreprises de transfert de fonds ou de vente de titres négociables en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Toutefois, il n’est pas clair que les circonstances sont les mêmes dans ce cas, particulièrement en ce que le mandataire est susceptible de fournir tous les services directs à l’utilisateur final et de prendre part à la prestation des fonctions de paiement (notamment en ce qu’il jouera sans doute un rôle dans la transmission des instructions relatives au transfert électronique de fonds s’il agit comme intermédiaire entre l’utilisateur final et le FSP).

Enregistrement

Une fois la LAAPD en vigueur, tout FSP souhaitant effectuer quelque activité associée aux paiements de détail que ce soit devra produire le formulaire d’enregistrement prescrit et payer les frais y afférents, sauf s’il en est exempté tel qu’il est décrit ci-dessus. La Banque du Canada tiendra un registre public de tous les FSP enregistrés. Elle publiera en outre une liste des personnes physiques et entités qui se sont vues refuser l’enregistrement, ou dont l’enregistrement a été révoqué. Bien qu’il soit possible aux demandeurs d’en appeler d’un refus à cet égard, il faut savoir que les motifs suivants peuvent être invoqués pour justifier celui-ci :

  • l’existence de raisons liées à la sécurité nationale;
  • l’omission par le demandeur de fournir sur demande des renseignements supplémentaires;
  • le défaut par le demandeur de respecter un arrêté pris par le ministre des Finances (le « Ministre ») ou un engagement requis par celui-ci;
  • le défaut par le demandeur de respecter une condition imposée par le Ministre; le fait pour le demandeur d’avoir fourni des renseignements faux ou trompeurs;
  • le défaut par le demandeur d’être inscrit à titre d’entreprise de transfert de fonds ou de vente de titres négociables en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (la « LRPCFAT »);
  • la commission par le demandeur d’une « violation grave » au sens de la LRPCFAT;
  • le fait pour le demandeur d’être réputé avoir contrevenu à la LAAPD.

Prochaines étapes

Bien que la LAAPD soit toujours assujettie au processus législatif et que les projets des règlements et des lignes directrices ne soient pas encore parus, les participants du marché des paiements de détail ne devraient pas attendre que tout soit mis au clair. De nombreuses entités sont dès maintenant à même de savoir si elles devront s’enregistrer en vertu de la LAAPD, et peuvent commencer à établir la façon dont elles devront s’y conformer. Celles dont le statut n’est pas aussi clair seraient avisées de décider si elles souhaitent présenter leurs observations dans le cadre du processus législatif ou réglementaire et, si elles le souhaitent, peut-être même tenter d’organiser leurs activités afin d’éviter que le nouveau régime les vise.

par Shahen Mirakian et Ahmed Kisserli (stagiaire en droit)

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2021

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