Secteur des boissons : attention aux termes élogieux dans les marques de commerce
Secteur des boissons : attention aux termes élogieux dans les marques de commerce
Dans le secteur des boissons, la concurrence est féroce, chaque entreprise cherchant à sortir du lot. Dans le but de démarquer son produit ou service de ceux de ses concurrents, une entreprise pourrait être tentée de choisir une marque de commerce qui, en partie du moins, fait l’éloge de sa qualité ou de ses caractéristiques. Après tout, si une entreprise estime qu’elle produit la bière la plus savoureuse au pays et souhaite le faire savoir à tous, pourquoi ne l’appellerait-elle pas « La plus savoureuse de toutes[1] »? Réponse courte : mieux vaut s’assurer que sa stratégie de marketing est respectueuse du droit canadien des marques de commerce. D’un point de vue réglementaire, l’examinateur d’une demande d’enregistrement d’une marque doit déterminer si d’autres entreprises pourraient utiliser les mêmes termes pour leurs propres produits et services. Comme les droits détenus à l’égard d’une marque de commerce garantissent dans une certaine mesure l’exclusivité, pourquoi autoriserait-on une entreprise à en empêcher d’autres d’utiliser des termes élogieux pour leurs produits et services?
Dans la jurisprudence, « les mots ou les préfixes ayant une connotation élogieuse sont a priori des termes descriptifs[2] », et les mots, préfixes ou syntagmes « faisant l’éloge de la valeur ou de l’importance d’un produit ou d’un service ne possèdent généralement pas de caractère distinctif inhérent[3] ». Comme les termes élogieux en eux-mêmes ont peu ou pas de caractère distinctif inhérent, leur utilisation dans une marque de commerce pourrait très bien diminuer le caractère distinctif inhérent de la marque dans son ensemble[4]. En conséquence, cette utilisation pourrait nuire à la capacité du titulaire de la marque d’obtenir l’enregistrement sans d’abord démontrer par voie d’affidavit ou de déclaration statutaire que la marque, malgré son caractère élogieux, avait, à la date de dépôt de la demande d’enregistrement, acquis un caractère distinctif au Canada comme un indicateur de source, par son utilisation répandue ou de longue date en association avec ses produits. Cette exigence impose au titulaire un fardeau supplémentaire, qu’il n’aurait pas eu s’il avait choisi une marque n’étant pas de prime abord descriptive et sans caractère distinctif inhérent. Autrement dit, l’utilisation de termes élogieux comme marque ou partie de marque pourrait très bien avoir des inconvénients d’un point de vue juridique, et la possibilité d’obtenir son enregistrement ou d’empêcher autrui d’utiliser ces termes élogieux pour des produits et services concurrents pourrait être compromise.
Le Manuel d’examen des marques de commerce fournit une liste non exhaustive des mots et syntagmes généralement considérés comme des épithètes élogieuses et donc comme clairement descriptifs ou conférant un caractère distinctif inhérent : SUPÉRIEUR, SUPER, SUPRÊME, ULTRA, ULTIME, AUTHENTIQUE, ORIGINAL, QUALITÉ, VALEUR, MERVEILLEUX, MEILLEUR, PARFAIT et EXCELLENT[5].
En plus de cette liste générale, le tableau qui suit présente une série d’autres termes ayant été jugés élogieux par nature (au moins à un certain degré) dans leur utilisation comme marque ou partie de marque dans le secteur des boissons.
Terme | Bien/service | Explications |
SWEET (sucré)[6] | Boissons enrichies pour favoriser la santé en général et le bien-être, jus de fruits et boissons aux légumes (et autres boissons) | « La marque comprend en outre le terme “sweet” qui peut effectivement prendre une connotation élogieuse lorsqu’il est utilisé comme adjectif, en plus d’être descriptif du caractère d’un certain nombre de produits de la requérante. » |
STELLER (stellaire)[7] | Boissons alcoolisées, nommément vins | « [Le terme “Steller” peut être considéré comme] un jeu de mots entourant la signification élogieuse du mot “stellar” (stellaire). » |
QUEEN (reine)[8] | Café, café à l’italienne avec lait chaud appelé cappuccino, thé, chocolat chaud, boissons gazeuses, jus (et autres boissons et aliments) | « En ce qui concerne les idées suggérées, les mots KING et QUEENS font tous deux référence aux monarques, bien que QUEENS puisse également désigner les épouses de rois. De plus, dans le contexte des marques de commerce dans leur ensemble, KING et QUEENS peuvent donner une connotation laudative. » |
KING (roi)[9] | ||
GOOD (bon, bien)[10] | Coffee, cocoa, tea, coffee-based beverages, tea-based beverages, beers, and non-alcoholic beers (among other beverages) | “It is difficult to determine the dominant portion of the Mark. There are two distinct portions: “smart food” and “good mood”. Each one of them is composed of a laudatory word and a noun.” |
SMART (intelligent, judicieux)[11] | Café, cacao, thé, boissons à base de café, boissons à base de thé, bières et bières non alcoolisées (et autres boissons) | « […] le mot élogieux SMART [intelligent, judicieux] dans le contexte de produits alimentaires laisse entendre que les produits constitueraient un choix plus sain que d’autres produits sur le marché. » |
GRAN (grand)[12] | Téquila | « Le caractère distinctif inhérent de la marque GRAN PADRE visée par la demande est également amoindri par le fait que les consommateurs de boissons alcoolisées percevraient le préfixe GRAN comme un terme laudatif, c’est-à-dire comme une troncation du mot laudatif GRAND. » |
PINNACLE (pinacle)[13] | Boissons alcoolisées à base de pommes, produits non alcoolisés à base de pommes, nommément jus pétillant et non pétillant, cidre doux mousseux, boissons, purées, compotes, gelées, confitures, friandises, tartes, sauces, aliments pour bébés et céréales | « En effet, les deux marques de commerce sont constituées du mot “pinnacle” (pinacle en français), lequel est défini comme l’apogée, le point culminant, un sommet ou une formation élevée de forme pointue, comme la cime d’une montagne. Par conséquent, les marques de commerce, lorsqu’examinées dans le contexte des marchandises en litige, peuvent évoquer le summum et ont vraisemblablement une connotation laudative. » |
XL (très grand)[14] | Boissons non alcoolisées, nommément boissons énergétiques | « En outre, il est possible de voir dans XL une abréviation des mots descriptifs anglais “extra large”, et EXEL peut faire penser au terme laudatif anglais “excel”. » |
PRESIDENTE[15],[16],[17] | Bière | « Le mot “president(e)” n’est pas un terme intrinsèquement fort en raison de sa nature quelque peu laudative. » |
Boissons alcoolisées, nommément margaritas pour consommation sur place | [Traduction] « Ni la marque PRESIDENT de l’opposant ni la marque PRESIDENTE & Design visée par la demande n’ont un caractère distinctif inhérent fort, puisque PRESIDENT est un mot commun ayant une connotation quelque peu élogieuse en relation avec un produit ou un service, c’est-à-dire en suggérant un produit ou un service phare ou de première qualité. » | |
Bière | ||
OLD (vieilli)[18] | Alcohol | « Dans ces deux cas la preuve démontrait, comme en l’espèce, que le rhum n’était pas fabriqué à Cuba, mais les marques de commerce comprenaient chacune un qualificatif élogieux, “old”, dans un cas, et “select” dans l’autre. » |
SELECT (sélect)[19] | ||
GREAT (bon)[20] | Boissons alcoolisées brassées | « [L]e mot “great” (bonne) est une expression élogieuse ayant trait à la qualité de la bière […]. » |
COLLECTOR (collectionneur)[21] | Porto, vin de table et brandy | [Traduction] « La marque COLLECTOR visée par la demande n’a pas un caractère distinctif inhérent fort, car elle est quelque peu élogieuse en suggérant que les produits du requérant présentent un intérêt pour les collectionneurs, c’est-à-dire qu’ils sont de grande qualité et recherchés. » |
IMPERIAL (impérial)[22] | Boissons alcoolisées | [Traduction] « Étant donné que la “stout impériale” est un type de bière, la marque du requérant serait comprise comme faisant référence à une stout impériale provenant de Samuel Smith. Si un acheteur n’était pas familier avec ce type de bière, il pourrait plutôt considérer “impérial” comme un terme descriptif ou élogieux, étant donné qu’une définition de “impérial” est “de taille ou d’excellence supérieure ou inhabituelle” [Webster’s Ninth New Collegiate Dictionary]. » |
CLASSIC (classique)[23] | Boissons gazeuses | [Traduction] « Toutes les marques de commerce enregistrées de l’opposant, sauf une, comprennent le terme inventé COCA-COLA ou COKE. Ainsi, ces marques ont un caractère distinctif inhérent. Quant à l’enregistrement no 179028 pour la marque CLASSIC, la définition première du mot “classique” au dictionnaire est “de valeur reconnue; servant de norme d’excellence”. Ainsi, cette marque est élogieuse et a un caractère distinctif inhérent très faible lorsqu’elle est utilisée avec n’importe quel produit. » |
SUNSHINE (rayon de soleil)[24] | Jus de fruits | [Traduction] « La marque déposée SUNSHINE de l’opposant est intrinsèquement distinctive bien qu’elle ait une connotation légèrement suggestive ou élogieuse lorsqu’elle est utilisée en association avec le jus d’orange comme elle suggère un bienfait pour la santé ou une origine tropicale. Ainsi, le caractère distinctif inhérent de la marque est faible. » |
SNAPPY (vif)[25] | Boissons gazeuses | [Traduction] « La marque SNAPPY POP de l’opposant a un caractère distinctif inhérent relativement faible puisque le mot “snappy”, en relation avec des boissons, désigne des boissons ayant une saveur piquante ou vive […]. Par conséquent, il y a aussi un aspect élogieux de la marque SNAPPY POP qui contribue encore à amoindrir son caractère distinctif inhérent[…]. » |
THE XX OF FINE BEER(le XX de la bière) [26] | Bière | [Traduction] « En d’autres mots, la construction THE XX OF FINE BEER est laudative “en soi”. […] Par conséquent, tout au plus, la marque du requérant THE COGNAC OF FINE BEER pour la bière est quelque peu élogieuse ou suggère une bière de qualité supérieure. » |
DELIGHT (délice)[27] | Services de restauration, nommément cafetières et théières, café et thé préemballés, sucre, tasses et agitateurs | [Traduction] « La marque COFFEE DELIGHT est fortement suggestive des services de restauration du requérant, bien qu’elle le soit peut-être un peu moins par rapport aux produits de l’opposant, à savoir de la crème à café. Les marques ont également une connotation élogieuse, en raison de la composante “DELIGHT”, ce qui amoindrit encore le caractère distinctif inhérent des marques. » |
EXCELLENCE[28] | Cafetières, boissons non gazeuses, nommément café, thé, chocolat chaud et limonade | [Traduction] « Dans le présent cas, le mot EXCELLENCE est élogieux comme il confère aux produits ou aux services une impression de qualité supérieure ou de première classe. » |
GOLD (or)[29] | Vins | [Traduction] « La marque du requérant, aussi, a un caractère distinctif inhérent faible. Le droit à l’emploi du mot MOSEL n’a pas été accordé, et GOLD a été jugé au moins quelque peu élogieux. » |
EXTRA[30] | Boissons alcoolisées | [Traduction] « Le mot “extra” utilisé en association avec des produits a une connotation élogieuse, c’est-à-dire qu’il porte à croire qu’ils sont hors de l’ordinaire, extraordinaires ou spéciaux. » |
Conclusions Une marque judicieusement choisie pour distinguer vos produits ou services de ceux de vos concurrents fait sortir votre entreprise du lot. Si l’utilisation de termes élogieux comme marque ou partie de marque peut présenter des avantages, elle peut également poser problème, notamment du point de vue du caractère distinctif de la marque et de l’application de la loi. Autrement dit, à moins que vous n’ayez l’avantage d’une utilisation à long terme ou répandue d’un terme intrinsèquement élogieux pour établir le caractère distinctif acquis de votre marque, signifier que vous croyez en la supériorité de votre produit ou service en choisissant comme marque « Meilleure [boisson] » n’est peut-être pas, justement, la meilleure idée.
[1] Les auteurs constatent que le droit canadien fait une distinction entre la simple fanfaronnade (c’est-à-dire une opinion complaisante tolérable qu’aucun consommateur raisonnable ne prendrait pour une représentation réelle de la performance) et les allégations publicitaires auxquelles les consommateurs raisonnables se fieraient, ces dernières nécessitant une justification objective. Le présent article ne porte que sur les termes élogieux dans le contexte du processus d’enregistrement des marques de commerce au Canada en vertu de la Loi sur les marques de commerce et ne les analyse pas comme des allégations publicitaires en vertu de la Loi sur la concurrence.
[2] Mitel Corporation c. Registraire des marques de commerce (1984), 79 C.P.R. (2e) 202.
[3] Manuel d’examen des marques de commerce, alinéa 4.9.5.9.
[4] Goudas Food Products & Investments Ltd c. Unadulterated Food Products, Inc (1995), 66 C.P.R. (3e) 243 (COMC).
[5]Manuel d’examen des marques de commerce, alinéas 4.4.8, 4.9.5.9 et 4.9.5.11.
[6] Energy Beverages LLC c. Evolution Fresh, Inc, 2021 COMC 231, alinéa 22.
[7] Arterra Wines Canada Inc c. Sundial Grower Inc, 2021 COMC 67, alinéas 32 et 35.
[8] SD Pero Holdings Inc c. Cannoli Queens Inc, 2020 COMC 94, alinéa 64.
[9] Ibid.
[10] Canada Bread Company, Limited c. Dr Smood ApS, 2019 COMC 136, alinéa 25.
[11] Canada Bread Company, Limited c. Dr Smood ApS, 2018 COMC 34, alinéa 114.
[12] Patron Spirits International AG c. Destileria 501, SA DE CV, 2016 COMC 40, alinéa 28.
[13] Constellation Brands Inc c. Domaines Pinnacle Inc, 2013 COMC 153, alinéa 35.
[14] Molson Canada 2005 c. XL Energy Marketing Sp z oo, 2012 COMC 38, alinéa 25.
[15] Vincor International Inc c. Cerveceria Nacional Dominicana C por A, 2011 COMC 157, alinéa 22.
[16] Vincor International Inc c. Brinker Restaurant Corporation (2009), 74 C.P.R. (4e) 163, alinéa 30 (COMC).
[17] Vincor International Inc c. Cerveceria Nacional Dominicana C por A, 2004 CarswellNat 4534, alinéa 10 (COMC).
[18]Havana Rum & Liquors, SA c. Ron Matusalem & Matusa of Florida, Inc, 2011 COMC 67, alinéa 17.
[19] Ibid.
[20] Molson Canada 2005 c. Labatt Brewing Company Limited, 2009 CanLII 82104, alinéa 15 (COMC).
[21] Andres Wines Ltd c. Adriano Ramos Pinto- Vinhos, SA (2008), 68 C.P.R. (4e) 462, alinéa 12 (COMC).
[22] Molson Breweries c. Samuel Smith Old Brewery (Tadcaster), 2004 CarswellNat 3138, alinéa 28 (COMC).
[23] Coca-Cola Ltd c. The Southland Corporation, 2001 CanLII 37994 (CA COMC).
[24] Federated Foods Limited c. Okanagan Dried Fruits Ltd, 1998 CanLII 18585 (COMC).
[25] Op. cit.
[26] Institut National des Appellations d’Origine c. Brick Brewing Co, Limited, 1995 CanLII 10276 (COMC).
[27] Interprovincial Cooperative Limited c. Habbib, 1994 CanLII 10067 (COMC).
[28]Melitta-Werke Bentz & Sohn c. VKI Technologies Inc (1992), 44 C.P.R. (3e) 256, alinéa 7 (COMC).
[29] Molson Breweries c. JP Delf Co (1990), 32 C.P.R. (3e) 521, alinéa 7 (COMC).
[30] Molson Cos c. John Labatt Ltd (1981), 58 C.P.R. (2e) 157, alinéa 18 (COMC).
par Pablo Tseng et Peter Giddens
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
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