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Vendeurs : attention à votre argumentaire de vente

Janvier 2018 Bulletin de litige et propriété intellectuelle Lecture de 6 min

Introduction

L’adjudicataire d’un contrat d’approvisionnement remporte souvent un marché important ou obtient l’occasion de nouer une nouvelle relation cruciale. Il est donc compréhensible que les équipes commerciale et technique des fournisseurs de biens et de services soient enclines à rédiger des propositions et des documents de marketing persuasifs. Toutefois, cette propension présente un danger lorsque ces documents emploient des tournures de vente exagérées ou hyperboliques et contiennent des affirmations téméraires sur le rendement, la convenance, la fiabilité et la fonctionnalité du bien ou du service offert. Même si fournisseur peut avoir l’occasion de faire réviser par ses conseillers juridiques le contrat octroyé après le dépôt d’une proposition gagnante, il est possible que les dés aient été jetés lors de la soumission d’une proposition préparée par les équipes commerciale et technique sans un examen juridique rigoureux.

Cette situation peut s’avérer problématique à deux égards. D’une part, les déclarations et les assertions formulées en langue commerciale informelle dans une soumission, une proposition ou des documents de marketing peuvent être intégrées de diverses manières dans les contrats et ainsi, de simples déclarations, peuvent devenir d’onéreuses obligations juridiques. En effet, une proposition est souvent jointe au contrat en tant qu’annexe ou intégrée par renvoi à celui‑ci. Même lorsqu’elle ne l’est pas, elle peut servir de fondement à un énoncé des travaux (EDT) qui fait directement partie du contrat en tant que description détaillée des services ou des produits, précisant les livrables, les caractéristiques techniques et la fonctionnalité. Cet EDT est habituellement joint au contrat octroyé en tant qu’annexe, ce qui signifie que toutes ses dispositions sont juridiquement contraignantes.

D’autre part, non seulement les assertions précontractuelles figurant dans les documents de marketing ou les propositions sont-elles parfois directement importées dans le contrat comme obligations, mais elles peuvent aussi subsister à titre de déclarations et de garanties distinctes auxquelles l’acheteur peut se fier indépendamment du contrat. Dans plusieurs affaires, les tribunaux se sont fondés sur des assertions et déclarations faites en dehors d’un contrat, par exemple au cours des pourparlers précontractuels ou à l’étape des propositions, pour octroyer des dommages-intérêts considérables.

Jurisprudence

L’une des décisions les plus importantes en matière d’assertions précontractuelles de cette décennie est celle de BSkyB v EDS[1]. Le tribunal britannique a conclu qu’un représentant commercial d’EDS, un fournisseur en TI, avait fait des déclarations négligentes et frauduleuses sur la capacité d’EDS à réaliser le projet dans un certain délai afin d’obtenir le contrat. BSkyB, l’acheteur, s’était fondé sur les déclarations faites pendant la phase de négociation, avant la conclusion du contrat, pour choisir EDS. Le contrat contenait une clause d’« intégralité du contrat », qui stipulait que le contrat devait « [traduction] consigner et constituer l’intégralité de l’entente entre les parties… et remplacer toute discussion, correspondance, déclaration ou entente préalable entre les parties ». Toutefois, le tribunal a conclu que la clause n’avait pas pour effet d’exclure la responsabilité délictuelle pour déclaration inexacte trompeuse ou faite par négligence à l’extérieur du contrat.

De plus, puisque les déclarations inexactes et trompeuses avaient été faites en dehors du contrat, le tribunal a jugé qu’elles ne constituaient pas des violations du contrat auxquelles s’appliquerait la limitation contractuelle de responsabilité de 30 millions de livres sterling et a condamné EDS à payer 318 millions de livres à l’égard d’un contrat de 50 millions de livres. Cette décision sert aux vendeurs un avertissement clair sur les répercussions éventuelles de l’utilisation inappropriée de processus de marketing et de vente pour l’obtention de contrats. Même si l’EDT ne contenait aucun piège pour EDS, les actions précontractuelles de l’équipe de vente ont voué la relation à l’échec.

Au Canada, il est bien établi en droit qu’une fausse déclaration frauduleuse ou faite par négligence pendant la phase précontractuelle peut donner lieu à une action en responsabilité délictuelle ou extracontractuelle lorsque la partie lésée s’est raisonnablement fondée à son détriment sur ces déclarations. À titre illustratif, dans la récente affaire Business Development Bank of Canada v Experian Canada[2] en Ontario, le tribunal a conclu que la défenderesse (une société de logiciels) avait fait des déclarations inexactes frauduleuses ou négligentes concernant les caractéristiques de son système logiciel pendant le processus d’appel d’offres afin d’inciter la demanderesse à lui octroyer le contrat. Le tribunal a accueilli la demande et accordé à la demanderesse des dommages-intérêts de 44 millions de dollars sur le fondement de déclarations inexactes.

Formulations à éviter

Il est bien évident qu’on doit éviter de négocier sur le fondement de déclarations frauduleuses ou faites par négligence, mais en quoi consiste cette obligation dans le contexte de la rédaction d’une proposition ou d’autres documents de vente? La formulation de déclarations « percutantes » sur les compétences, l’expertise, la fonctionnalité, la fiabilité et la capacité à livrer est une pratique périlleuse. Par exemple, les documents de vente emploient fréquemment des superlatifs absolus pour décrire les produits et les services, comme « le meilleur », « le plus rapide », « le plus fiable » ou « le plus sûr ». Dans certains cas, on ne tient pas compte de ces assertions, vues comme de la « réclame louangeuse[3] », mais la distinction entre les assertions qui peuvent être ignorées et celles qui constituent de véritables déclarations auxquelles une partie peut légitimement se fier n’est pas toujours évidente.

Les assertions de vente comprennent souvent l’affirmation, par exemple, selon laquelle un fournisseur « fera en sorte » que des résultats donnés soient atteints. « Faire en sorte » dénote une obligation absolue, semblable à une « garantie », et suppose une obligation juridique contraignante. Un énoncé comme « nous ferons en sorte que votre système fonctionne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 » peut poser problème puisqu’il prend probablement en charge des circonstances indépendantes de la volonté du fournisseur. Lorsqu’une affirmation est conditionnelle à certaines hypothèses, un fournisseur prudent doit l’expliciter de manière claire ou exprimer l’affirmation en des termes qu’il peut maîtriser. Par exemple, la déclaration pourrait être formulée ainsi : « nous travaillerons avec diligence à la maximisation de la disponibilité du système ».

Les fournisseurs devraient également se méfier des déclarations de vente subjectives, ambiguës ou non mesurables. Par exemple, « rapide » est un terme relatif, qui pourrait ne pas signifier la même chose pour toutes les parties et qui pourrait compliquer la négociation du contrat ou donner lieu à une interprétation contentieuse. On recommande d’employer des termes objectifs et mesurables. Comparez « le système sera rapide » avec « lorsque le système est exploité conformément aux spécifications minimales, il traite 2 000 opérations par seconde ».

Exclusions de responsabilité

On doit rédiger avec soin les limitations et exclusions contractuelles de responsabilité, notamment pour couvrir toute déclaration faite dans les propositions et les arguments de vente. Bien que les clauses types de limitation et d’exclusion de responsabilité puissent couvrir les déclarations faites dans le contrat lui-même, elles seront souvent sans effet à l’égard des déclarations faites en dehors du contrat. De plus, la jurisprudence a montré qu’une conduite négligente ou frauduleuse rendra inopérante une clause de limitation de responsabilité. La « réclame louangeuse » n’est généralement pas un fondement suffisant à une condamnation pour déclaration inexacte et frauduleuse, mais une déclaration faite sans base ou analyse solide suffit à fonder une action en responsabilité délictuelle ou extracontractuelle. Par conséquent, on doit faire preuve d’une grande prudence, puisqu’une déclaration inexacte et frauduleuse peut entraîner une énorme responsabilité, même s’agissant d’un petit contrat.

Recommandations

En conclusion, les fournisseurs de produits ou services devraient faire attention à deux aspects de leur argumentaire de vente. Premièrement, les documents de vente devraient être expurgés de tout terme hyperbolique, absolu ou ambigu. Si possible, on devrait employer des formulations objectives, mesurables et réfléchies même dans les propositions, afin de créer des attentes appropriées et d’établir une base raisonnable qui pourra être ajoutée au contrat. Compte tenu du risque que ces déclarations soient ensuite intégrées dans un contrat, on devrait par prudence obtenir la participation d’avocats dès les premières étapes des négociations et au moment de la préparation des propositions et des documents de marketing.

Deuxièmement, la jurisprudence sur les déclarations inexactes frauduleuses et faites par négligence met en lumière une zone de vulnérabilité pour toutes les parties soumissionnant pour l’obtention de contrats. Les vendeurs ont payé cher les pratiques dolosives et devraient réexaminer la manière dont ils vendent leurs services ou produits et soumissionnent pour des projets. Pour se protéger de ces dangers, un vendeur devrait : (i) mettre en place des processus de réaction s’il existe une indication, quelle qu’elle soit, de pratiques imprudentes au cours des processus de vente ou de commercialisation; (ii) faire en sorte que les déclarations figurant dans les propositions et les documents de commercialisation soient vérifiées et puissent objectivement être soutenues; (iii) former les représentants commerciaux et veiller à ce que leur rémunération ne les incite pas à des comportements dangereux; et (iv) limiter le nombre de personnes ayant le pouvoir de faire des déclarations au cours du processus de soumission ou de vente, afin que toutes les déclarations puissent être préalablement approuvées. Ces quelques précautions offrent une certaine protection contre les risques et les dangers éventuels auxquels font face tant les fournisseurs que les acheteurs.

par Karl Gustafson et Sally Wong, étudiante en droit, et remerciements particuliers à Ryan Black

[1] 2010 WL 20033.
[2] 2017 ONSC 1851.
[3] La « réclame louangeuse » est souvent considérée comme de la vantardise ou de vagues énoncés exagérés manifestement hyperboliques auxquels on ne peut raisonnablement pas se fier.

Mise en garde

Le contenu du présent document fournit un aperçu de la question, qui ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne droit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l./LLP 2018

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