Le conte de [Norsteel dans] deux cités
Le conte de [Norsteel dans] deux cités
La récente décision de la Cour fédérale du Canada dans l’affaire Norsteel Building Systems Ltd. v. Toti Holdings Inc. rappelle l’importance de faire les vérifications nécessaires avant d’employer et d’enregistrer une marque de commerce au Canada[1]. La Cour y confirme le principe bien établi selon lequel l’emploi antérieur d’une marque par un tiers en liaison avec des biens ou des services identiques ou semblables peut rendre un enregistrement invalide.
Le contexte
Toti Holdings Inc. (« Toti ») est une société ontarienne constituée en 2006[2]. Norsteel Building Systems Ltd. (« Systems ») a été constituée en Colombie-Britannique en 1992. Elles s’adonnent toutes deux à la préfabrication de structures en acier et en métal. Ces sociétés et leurs prédécesseurs ont coexisté pendant des années et ont chacune, à l’insu de l’autre, employé la marque de commerce NORSTEEL dans la poursuite de leurs entreprises, qui sont semblables, dans différentes parties du Canada. En 2011, les parties ont chacune appris l’existence de l’autre lorsqu’un client les a confondues (un exemple de ce que l’on appelle, en droit des marques de commerce, une « confusion réelle » entre usagers d’une marque). Elles se sont consultées, mais elles n’ont pas conclu de règlement, et Systems, la première à avoir employé la marque NORSTEEL, n’a pas demandé à Toti de cesser de le faire dans le cadre de ses activités. Dans les six années qui ont suivi, les parties ont continué d’exercer leurs activités sans conflit.
En 2016, Toti a déposé une demande d’enregistrement pour la marque NORSTEEL en liaison avec, entre autres, des services et des matériaux de construction, demande qui a été accueillie au début de 2017 (l’« Enregistrement »)[3]. À la fin de cette même année, Systems a elle aussi déposé une demande d’enregistrement pour la marque NORSTEEL, notamment en liaison avec des services et des matériaux de construction, en précisant qu’elle employait la marque depuis 1993[4]. L’examinateur s’est opposé à cette deuxième demande au motif qu’elle créait de la confusion avec l’Enregistrement.
Systems a invoqué le paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce[5] pour demander la radiation de l’Enregistrement[6].
Comment l’enregistrement protège-t-il une marque?
En général, l’enregistrement d’une marque de commerce au Canada confère à son propriétaire la capacité d’opposer, dans tout le pays, les droits rattachés à sa marque à tout tiers qui utilise une marque identique, ou semblable au point de créer de la confusion, en liaison avec les biens et les services qui figurent dans l’inscription au registre. L’enregistrement constitue par ailleurs une preuve prima facie de propriété. Par conséquent, en cas de différend, il incombe à celui qui conteste la propriété de la marque de prouver qu’il l’a employée antérieurement.
La décision
Systems a contesté l’Enregistrement pour quatre motifs. La Cour s’est principalement penchée sur les deux questions suivantes :
- Y a-t-il eu acquiescement ou inertie rendant la demande de Systems irrecevable?
- L’Enregistrement était-il invalide en raison de l’emploi antérieur de la marque par Systems?
Acquiescement ou inertie
La Cour a conclu que la demande que Systems lui a présentée n’était pas irrecevable du seul fait que trois ans et demi s’étaient écoulés entre le moment où Systems a pris connaissance de l’Enregistrement et celui où elle l’a contesté devant les tribunaux. Selon Toti, ce délai faisait foi d’un acquiescement, et donc que Systems l’avait tacitement autorisée à employer la marque. La Cour a toutefois indiqué que le simple fait de tarder à agir ne suffit pas pour qu’il y ait acquiescement. La Cour a également souligné que le comportement de Systems avant l’enregistrement de la marque NORSTEEL était moins pertinent que celui adopté après qu’elle en eut pris connaissance. Dès qu’elle a appris l’existence de l’Enregistrement, Systems a informé Toti de son emploi antérieur et de son intention de le faire radier, soit tout le contraire de l’acquiescement ou de l’encouragement[7]. La Cour a donc conclu qu’il n’y avait pas eu acquiescement rendant la demande présentée par Systems irrecevable[8].
Emploi antérieur
La Cour a conclu que l’Enregistrement était invalide en raison de l’emploi antérieur de la marque par Systems, conformément aux alinéas 18(1)b) et d) de la Loi sur les marques de commerce[9]. L’alinéa 18(1)b) prévoit que l’enregistrement d’une marque de commerce est invalide si, au moment où il est effectué, la marque n’était pas distinctive[10]. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte pour évaluer le caractère distinctif d’une marque. En l’espèce, la Cour a déterminé qu’au moment où Toti l’a enregistrée, la marque NORSTEEL n’était pas distinctive puisque, étant donné la nature semblable des activités et la ressemblance entre les deux marques, elle ne permettait pas au consommateur moyen de faire la différence entre l’entreprise de Toti et celle de Systems[11]. La preuve a même été faite, à l’aide de courriels de consommateurs, qu’il y avait eu une confusion réelle entre les deux entreprises. Vu la confusion créée par son emploi par Toti, la marque NORSTEEL n’était pas distinctive, et l’Enregistrement était donc invalide.
Pour qu’un enregistrement soit valide, l’alinéa 18(1)d) de la Loi sur les marques de commerce[12] exige par ailleurs que le demandeur soit la personne ayant droit d’obtenir l’enregistrement. Si une personne a antérieurement employé la marque au Canada et continue de le faire, ce droit ne peut appartenir à personne d’autre[13]. La Cour a conclu que l’emploi antérieur de la marque NORSTEEL par Systems faisait en sorte que Toti n’avait pas le droit d’obtenir l’Enregistrement, qui a donc été déclaré invalide[14].
Ce qu’il faut retenir
Cette décision illustre une fois de plus qu’une entreprise doit bien faire ses recherches et repérer tout emploi antérieur par un tiers d’une marque de commerce qu’elle souhaite adopter ou employer, et ce, non seulement dans la ville ou la province où elle exerce ses activités, mais dans tout le pays. Elle démontre aussi que mieux vaut prévenir que guérir : une recherche préalable par un spécialiste des marques de commerce est beaucoup moins dispendieuse qu’un litige. À plus forte raison, celui qui est déjà au courant de l’emploi d’une marque similaire ne doit pas l’ignorer. L’entreprise qui omet de faire une vérification diligente pourrait être forcée de se doter d’une nouvelle image après avoir investi temps, argent et efforts pour en faire connaître une autre.
Cette affaire démontre aussi que si la Cour peut rejeter une demande de radiation en raison de l’acquiescement, elle ne le fera pas pour une simple lenteur dans la présentation de la demande. Il n’en demeure pas moins important pour une partie qui apprend l’existence d’un enregistrement qu’elle estime invalide en raison de son emploi antérieur de la marque visée de signaler cet emploi antérieur et de déposer une demande de radiation rapidement pour éviter de se voir opposer une défense d’acquiescement.
[1] Norsteel Building Systems Ltd. v. Toti Holdings Inc., 2021 FC 927.
[2] Ibid., paragr. 3.
[3] Numéro d’enregistrement de la marque au Canada : LMC966200.
[4] Numéro de demande de marque de commerce : 1861020, déposée au Canada par Norsteel Building Systems Ltd.
[5] Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13.
[6] Supra note 1, paragr. 8.
[7] Ibid., paragr. 36-41.
[8] Ibid., paragr. 44.
[9] Supra note 2, art 18(1)b), d).
[10] Ibid., art 18(1)b).
[11] Les marques de commerce sont là pour aiguiller les consommateurs, notamment pour qu’ils sachent d’où proviennent certains biens et services.
[12] Ibid., art (18)(1)d).
[13] Ibid, art 16(1)a), c).
[14] Supra note 1, paragr. 59.
par Kaleigh Zimmerman, Pablo Tseng et Sezen Izer (stagiaire en droit)
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
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