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Une banque jugée responsable dans la plus grande action collective sur les heures supplémentaires non rémunérées au Canada

Avril 2020 Bulletin Droit du travail et de l’emploi Lecture de 4 min

Après plus de dix ans de litige dans l’affaire Fresco v Canadian Imperial Bank of Commerce[1], la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « Cour supérieure ») a finalement jugé la Banque CIBC responsable d’avoir demandé ou autorisé des heures supplémentaires non rémunérées et de ne pas avoir consigné correctement toutes les heures travaillées par les employés de première ligne des banques.

Contexte

L’action a été introduite par Dara Fresco, la représentante, qui a déposé une demande d’action collective contre la Banque CIBC pour non-rémunération d’heures supplémentaires en 2007. La représentante alléguait également que la Banque CIBC avait agi de mauvaise foi. L’action collective proposée représentait 31 000 employés et ex-employés de première ligne non syndiqués n’exerçant pas de fonctions de direction qui ont travaillé pour la Banque CIBC entre février 1993 et juin 2009.

La principale allégation était que pendant cette période de 16 ans, les politiques sur les heures supplémentaires et les pratiques de tenue de registres de la Banque CIBC contrevenaient au Code canadien du travail (le Code) et faisaient en sorte que les heures supplémentaires des employés de première ligne n’étaient pas adéquatement rémunérées[2]. L’action collective n’alléguait pas que la Banque CIBC ne payait jamais d’heures supplémentaires ni que chaque personne inscrite avait effectué des heures supplémentaires non rémunérées. La représentante soutenait plutôt que certaines restrictions et lacunes du système de rémunération de la banque avaient fait en sorte que certaines personnes inscrites n’avaient pas été rémunérées pour toutes les heures qu’elles avaient travaillées.

La Cour supérieure avait d’abord refusé d’autoriser l’action collective en 2009. La Cour divisionnaire a confirmé la décision de la Cour supérieure, mais, à la suite d’un appel interjeté par la représentante, la Cour d’appel de l’Ontario a autorisé l’action collective en 2012. En 2013, la Cour suprême du Canada a rejeté le pourvoi de la Banque CIBC contre l’autorisation d’exercer l’action collective. La représentante a ensuite présenté à la Cour supérieure une motion en vue d’obtenir un jugement sommaire quant aux questions communes autorisées.

Décision

Le Code impose aux employeurs sous réglementation fédérale, comme la Banque CIBC, plusieurs obligations concernant les heures supplémentaires. Plus particulièrement, l’article 174 du Code prévoit ce qui suit :

l’employé qui a, sur demande ou autorisation, effectué des heures supplémentaires a droit, pour ces heures supplémentaires… à une majoration de son taux régulier de salaire d’au moins cinquante pour cent. [Soulignement ajouté.]

La « durée normale du travail » des employés de première ligne de la banque était de 7,5 heures par jour et de 37,5 heures par semaine (même si le Code autorise jusqu’à 8 heures par jour et à 40 heures par semaine).

Dans son analyse, le juge saisi de la motion a interprété que le mot « autorisation » à l’article 174 du Code désigne des heures supplémentaires qui n’ont pas été interdites à l’employé (et non qui lui ont été imposées implicitement). Par conséquent, il considère que l’article 174 rend obligatoire la majoration du taux régulier de salaire de cinquante pour cent lorsque l’employeur demande à l’employé d’effectuer des heures supplémentaires ou ne le lui interdit pas. Le juge a ensuite appliqué cette interprétation de l’article 174 aux politiques sur les heures supplémentaires de la Banque CIBC.

La Banque CIBC a appliqué une série de politiques sur les heures supplémentaires pendant la période de 16 ans visée. La politique générale était que les heures supplémentaires n’étaient rémunérées que si elles avaient été approuvées au préalable par un gestionnaire. La Banque CIBC avait demandé aux gestionnaires de n’approuver les heures supplémentaires au préalable que dans des circonstances exceptionnelles. Toutefois, en 2006, la Banque CIBC a modifié sa politique pour permettre l’approbation rétroactive dans des « circonstances atténuantes ».

Le juge a conclu que ces politiques enfreignaient le Code, car celui-ci n’établit nullement que la rémunération des heures supplémentaires effectuées par un employé est tributaire d’une approbation officielle ou de circonstances atténuantes. Le juge a également tiré les conclusions suivantes :

  • La Banque CIBC n’a pas correctement consigné toutes les heures de travail des personnes inscrites et tenu de registre à leur égard, comme l’exige le paragraphe 24(2) du Règlement du Canada sur les normes du travail[3]. Ainsi, les heures de travail qui n’ont pas été approuvées au préalable (ou rétroactivement dans des circonstances atténuantes après 2006) n’ont été ni consignées ni rémunérées.
  • Certaines personnes inscrites au recours collectif ont effectué des heures supplémentaires non rémunérées en raison de la nature du travail des employés de première ligne, qui peut rendre difficile l’obtention d’une approbation préalable pour les heures supplémentaires.
  • Il est plus probable qu’improbable que la Banque CIBC ait autorisé ou n’ait pas interdit que ces heures supplémentaires non rémunérées soient effectuées.
  • Toutefois, la Banque CIBC n’a pas manqué à son obligation d’exécuter ses obligations contractuelles de bonne foi. Aucun élément de preuve n’a établi qu’elle a menti à ses employés ou les a délibérément induits en erreur relativement à la légalité de ses politiques sur les heures supplémentaires.

Le juge a indiqué qu’une politique sur les heures supplémentaires peut tout à fait préconiser l’approbation officielle en tant que norme d’entreprise, mais qu’elle doit alors préciser que ni l’approbation préalable ni l’approbation rétroactive ne sont des conditions préalables à la rémunération. Pour reprendre les propos du juge, les heures supplémentaires doivent être rémunérées dès lors qu’elles sont effectuées sur demande ou autorisation, « point à la ligne ».

Ce que les employeurs doivent retenir

La décision du juge ne porte que sur les questions communes autorisées concernant la responsabilité. Les questions communes autorisées concernant les recours et les dommages-intérêts n’ont pas encore été tranchées (une bataille qui s’annonce « particulièrement difficile » pour la représentante, selon le juge).

Malgré cela, la décision rendue par le juge est importante, car elle souligne l’importance de veiller à ce que les politiques, les pratiques et les procédures en matière d’heures supplémentaires soient conformes à la législation sur les normes d’emploi applicable. Même si rien n’interdit d’adopter une politique préconisant l’autorisation préalable des heures supplémentaires, la présente affaire confirme que les employeurs ont l’obligation positive d’interdire aux employés d’effectuer des heures supplémentaires s’ils ne souhaitent pas les rémunérer.

Comme le juge saisi de la motion l’a souligné, il n’incombe pas à l’employé de demander la permission d’effectuer des heures supplémentaires. C’est plutôt l’employeur qui est tenu d’intervenir pour empêcher l’employé d’en effectuer. Comme l’a dit le juge : « Si l’employeur sait ou devrait savoir qu’un employé effectue des heures supplémentaires, mais omet de prendre des mesures raisonnables pour l’en empêcher, les heures supplémentaires doivent être rémunérées. »

par Paul Boshyk, Kyle Lambert et Eleanor Rock (étudiante en droit)

[1] 2020 ONSC 75.
[2] L.R.C. (1985), ch. L-2.
[3] C.R.C., ch. 986.

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder entièrement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.

© McMillan s.e.n.c.r.l., s.r.l. 2020

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