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La Cour suprême du Canada met un frein aux doubles redevances imposées aux utilisateurs de services de musique en ligne

Le 1er novembre 2022 Bulletin sur réglementation Lecture de 4 min

Les fournisseurs de services de musique en ligne (les « SML ») ont remporté une victoire le 15 juillet 2022, jour où la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a rendu sa décision dans l’affaire Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (la « SOCAN ») c. Entertainment Software Association. En effet, la CSC a conclu que la Loi sur le droit d’auteur (la « Loi ») n’oblige pas les fournisseurs de SML à payer deux redevances distinctes pour avoir accès à une œuvre en ligne. La Cour a ainsi donné raison aux fournisseurs de SML : une seule redevance est payable aux titulaires de droits d’auteur lorsque leur œuvre est téléversée ou « mise à la disposition du public » sur Internet.

Cette décision clarifie les obligations des fournisseurs de SML envers les titulaires de droits d’auteur dont ils diffusent les contenus en ligne. La CSC a rejeté les arguments de la SOCAN (une organisation qui perçoit et verse les redevances pour le compte de créateurs et d’éditeurs de musique, et d’artistes visuels), qui voulait que les utilisateurs de SML paient une redevance additionnelle quand l’œuvre est subséquemment téléchargée ou diffusée en continu sur Internet. La distribution en ligne de musique et d’autres œuvres est en voie de devenir le principal mode de diffusion et d’utilisation des contenus; c’est un secteur complexe d’une grande importance économique pour le Canada[1]. Dans ce contexte, la décision rendue nous éclaire sur les droits des titulaires de droits d’auteur et des distributeurs de contenus en ligne.

Décisions antérieures sur les redevances payables par les services de musique en ligne

La question des doubles redevances tire son origine d’une décision de la Commission du droit d’auteur du Canada (la « Commission »), qui avait conclu que les titulaires de droits d’auteur avaient droit à des redevances (1) lorsque l’œuvre est mise à la disposition du public en ligne et (2) lorsqu’elle est diffusée en continu ou téléchargée.

Cette décision avait ensuite été infirmée par la Cour d’appel fédérale (la « CAF »), qui avait jugé que la disposition de « mise à la disposition » ne créait pas une nouvelle redevance distincte pour le téléversement de l’œuvre qui s’ajouterait à la redevance payable lorsque les utilisateurs téléchargent l’œuvre ou la diffusent en continu.

La disposition de « mise à la disposition » exige le paiement d’une seule redevance

La CSC a confirmé la décision de la CAF pour trois raisons.

a)  Les obligations internationales en vertu du Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur

En 1997, le Canada a signé le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (le « Traité »), par lequel il s’engageait à adopter et à respecter les règles internationales en matière de droit d’auteur applicables aux technologies nouvelles et émergentes. La CSC s’est penchée sur l’article 8 du Traité pour déterminer si la disposition de « mise à la disposition » de la Loi obligeait les utilisateurs à payer deux redevances. Elle a conclu que les doubles redevances permettraient au Canada de s’acquitter de ses obligations en vertu du Traité, mais que celui-ci « ne commande pas cette interprétation »[2]. La CSC a donc retenu l’autre interprétation possible : le paiement d’une seule redevance est conforme au Traité et davantage compatible avec « le texte, la structure et l’objet » de la Loi[3].

b)  Le texte, la structure et l’objet de la Loi sur le droit d’auteur

La CSC a conclu que l’imposition de doubles redevances était incompatible avec le texte et la structure de la Loi, dont elle minerait l’objet. Elle souligne que la Loi confère aux titulaires de droits d’auteur trois droits : (1) produire ou reproduire une œuvre, (2) exécuter une œuvre ou la représenter en public et (3) publier une œuvre.

Comme ce sont des droits distincts, une activité unique ne peut faire intervenir qu’un seul des trois; ainsi, chaque activité donne droit à une seule redevance. Les fournisseurs de SML et les autres distributeurs de contenus numériques doivent respecter ces droits lorsqu’ils font affaire avec des titulaires de droits d’auteur.

Cela dit, la décision de la CSC avantage les fournisseurs de SML : la mise à la disposition d’une œuvre en ligne et son téléchargement ou sa diffusion en continu constituent un seul et même acte (une seule « exécution ») qui donne droit à une seule redevance.

La CSC a par ailleurs interprété l’objet de la Loi d’une manière favorable aux fournisseurs de SML. Ainsi, la Loi « n’existe pas exclusivement au profit des auteurs »; elle vise plutôt à « mettre en équilibre les droits des auteurs et ceux des utilisateurs en garantissant une juste rétribution aux auteurs tout en facilitant l’accès du public aux œuvres »[4]. Permettre aux auteurs d’exiger des redevances additionnelles pour les œuvres en ligne fragiliserait cet équilibre.

c)  Le principe de la neutralité technologique

Enfin, la CSC a appliqué le principe de la neutralité technologique pour éviter aux utilisateurs de SML de sortir leur portefeuille. Elle a conclu qu’en vertu de ce principe, la Loi ne devait pas être interprétée de manière à favoriser une forme de technologie en particulier. Par exemple, les redevances devraient être les mêmes pour un album acheté en ligne ou dans un magasin physique[5]. L’adoption de ce principe par la Cour envoie un signal potentiellement important aux fournisseurs de SML, de médias numériques et d’autres services en ligne : les tribunaux traiteront les médias traditionnels et numériques de la même façon.

Ce qu’il faut retenir

La CSC a conclu que les utilisateurs de SML doivent payer les titulaires de droits d’auteur une seule fois quand leurs œuvres sont mises à la disposition du public en ligne.

La mise à la disposition constitue un seul acte (une seule « exécution ») qui donne droit à une seule redevance. Bien que les titulaires de droits d’auteur aient le droit de contrôler l’acte de mise à la disposition de leurs œuvres, ainsi que tout téléchargement ou toute diffusion en continu subséquents, ils ne peuvent cependant pas recevoir des redevances additionnelles pour le contenu téléchargé ou diffusé en continu. Cette décision clarifie non seulement les droits des titulaires de droits d’auteur, mais également les obligations des plateformes de diffusion d’œuvres. Devant l’évolution rapide du monde numérique, le droit tarde souvent à s’adapter aux nouvelles méthodes de création et de distribution. Une décision comme celle-ci vient toutefois mieux circonscrire les obligations des fournisseurs de SML.

Si vous avez des questions sur ce billet, les redevances ou la distribution de contenus en ligne, n’hésitez pas à communiquer avec les auteurs.

[1] Steven GLOBERMAN, « The Entertainment Industries, Government Policies, and Canada’s National Identity », 2014, p. 4-5 (Institut Fraser).
[2] Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Entertainment Software Association, 2022 CSC 30, par. 51 [Société canadienne des auteurs].
[3] Société canadienne des auteurs, par. 51.
[4] Société canadienne des auteurs, par. 5.
[5] Société canadienne des auteurs, par. 63.

par Lisa Page, Jonathan O’Hara et Adelaide Egan (stagiaire en droit)

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2022

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