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Rémunération des employés inventeurs

Octobre 2019 Bulletin de propriété intellectuelle Lecture de 4 min

Les organisations dont certains employés conçoivent de nouveaux produits ou procédés prévoient généralement dans leurs contrats de travail que l’employeur demeure propriétaire de toute propriété intellectuelle, y compris les brevets, qui découle du travail de ces employés.

Cette formule convient tout à fait lorsque l’entreprise est établie au Canada, mais lorsque l’entreprise exerce des activités à l’international, elle doit vérifier que les procédures en place à ses établissements situés à l’étranger respectent le droit local. En Allemagne, par exemple, la législation prévoit qu’une invention brevetable est la propriété de l’employé et que l’employeur ne peut acquérir la propriété de l’invention et du brevet en résultant qu’en suivant des procédures établies par cette législation. Ainsi, une entreprise canadienne qui possède un établissement en Allemagne doit vérifier que ses politiques sont conformes au droit allemand et qu’elle comprend les conséquences des mesures qu’elle prend lorsqu’elle suit le processus obligatoire d’acquisition de la propriété d’une invention, notamment en ce qui concerne le montant qu’elle devra verser à l’employé inventeur.

Au Royaume-Uni, la loi Patents Act 1977 prévoit que l’employeur est propriétaire d’une invention créée par un employé lorsqu’on peut raisonnablement s’attendre à ce que la création d’inventions résulte des fonctions de l’employé. Par contre, l’employé a le droit d’exiger une rémunération s’il peut établir que le brevet a été une source de profits substantiels pour l’employeur. La loi Patents Act prévoit que la rémunération octroyée à l’employé doit lui conférer une juste part des profits réalisés. La législation prévoit des dispositions qui empêchent l’employeur dans une certaine mesure de modifier l’effet de cette loi par un contrat.

La Cour suprême du Royaume-Uni a récemment examiné le fonctionnement de cette loi dans l’arrêt Shanks v. Unilever plc and others[1]. Le professeur Shanks a fini par obtenir 2 000 000 £ comme rémunération raisonnable pour son invention d’un appareil qui pouvait, notamment, être utilisé par les personnes diabétiques comme un lecteur jetable permettant de mesurer leur taux de glucose. L’invention a été brevetée dans plusieurs territoires y compris le Canada, les États-Unis et l’Australie.

Point intéressant de cet arrêt, le personnel de recherche établi au R.‑U. était employé par une filiale du groupe Unilever qui ne vendait en réalité aucun produit. La Cour suprême a conclu qu’elle était tenue, selon la loi, de tenir compte du groupe Unilever dans son ensemble, et pas seulement de la filiale qui employait le personnel de recherche. Un autre point intéressant est que comme ce lecteur n’était pas un élément essentiel des activités d’Unilever, Unilever n’avait pas vraiment entrepris de le commercialiser. Unilever n’a pas non plus estimé comme un élément important de ses activités la concession sous licence de ces lecteurs, et elle y a donc consacré peu de ressources. Cependant, les sociétés du secteur des tests de glycémie pour les diabétiques se sont rendu compte du potentiel de la technologie conçue par Shanks et ont contacté Unilever pour obtenir des licences. Dans un article de 2010 dans le journal The Guardian, on estimait que les ventes mondiales des kits de tests fondés sur cette technologie atteignaient les 80 milliards de dollars américains. En fin de compte, le bénéfice net que le groupe Unilever tirait des brevets de Shanks a été établi à 24 millions de livres sterling. Ce chiffre semble inclure les bénéfices tirés de tous les brevets et pas seulement du brevet obtenu au Royaume‑Uni.

Même s’il est évident qu’on doit obtenir des conseils de conseillers locaux compétents lorsqu’on établit une entreprise à l’étranger, il faut surtout veiller à ce que les conseils reçus portent aussi sur les étapes nécessaires à la protection de la propriété intellectuelle de l’entreprise dans toute la mesure possible. Au début au moins, des règles différentes peuvent s’appliquer aux différents établissements de l’entreprise selon leur localisation géographique. Lorsque c’est possible, une entreprise devrait essayer d’harmoniser la rémunération de son personnel de création afin d’encourager la collaboration. Une entreprise doit aussi envisager de mettre sur pied un processus de traitement des questions relatives à la rémunération afin d’éviter des poursuites judiciaires ou d’autres processus de règlement des différends antagoniste comme l’arbitrage. Lorsque la partie adverse est quelqu’un avec qui l’employeur souhaite continuer la relation, comme un scientifique chercheur productif, le recours à un processus de règlement des différends antagoniste peut avoir un effet négatif sur le rendement ou la motivation de cette personne. On peut trouver des exemples de cette situation dans les arbitrages utilisés pour l’établissement de la rémunération des joueurs de baseball. À l’audience, chaque partie cherche à justifier sa position, et cela amène souvent l’équipe à dresser la liste de toutes les faiblesses perçues du joueur. Même lorsque l’équipe « gagne » l’arbitrage, elle peut s’avérer perdante en laissant une mauvaise impression au joueur et même à ses partisans. La réaction du gaucher Jim Abbott des Yankees, après être sorti perdant d’un dossier d’arbitrage en 1993 illustre bien le problème : « Pourquoi ont-ils fait un échange pour m’obtenir si c’est ce qu’ils pensent de moi? ».

De la façon dont elle a traité avec le professeur Shanks, Unilever s’est engagée dans un litige qui a duré plus de 13 ans. Il est presque certain que la somme de 2 000 000 £ qu’elle versera au professeur Shanks est bien inférieure à ses frais juridiques. Elle devra aussi payer les frais juridiques du professeur Shanks.

Des psychologues ont déjà étudié les principes d’équité dans le cadre de plusieurs expériences. Dans l’une d’elles, un singe capucin était récompensé par un morceau de concombre lorsqu’il effectuait une tâche particulière. Lorsqu’un deuxième singe capucin recevait aussi un morceau de concombre pour avoir exécuté la même tâche, tout allait bien. Cependant, lorsque le deuxième singe capucin a reçu un grain de raisin (les singes capucins préférant le raisin au concombre) au lieu d’un morceau de concombre pour la même tâche, le premier singe a montré clairement son mécontentement[2]. Même si les joueurs de baseball et les scientifiques ne réagissent pas tout à fait de la même façon que des singes capucins, il est important pour le succès d’une organisation qu’elle fasse tout ce qu’il est raisonnablement possible de faire pour que ses membres aient l’impression qu’elle les traite de manière équitable.

par Peter E.J. Wells, C.S. et Sherif Abdel-kader

[1] Shanks v. Unilever plc and others, [2019] UKSC 45.
[2] L’expérience sur l’équité salariale effectuée sur des singes capucins.

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2019

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