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Des changements importants pour les entreprises qui effectuent des fournitures taxables au Québec

Juillet 2018 Bulletin de fiscalité Lecture de 9 min

Le gouvernement du Québec propose et adopte une mesure obligeant les entreprises non résidentes à s’inscrire au régime de la taxe de vente du Québec (la « TVQ »)

Conformément à une proposition visant la modification et la modernisation de la Loi sur la taxe de vente du Québec (la « Loi sur la TVQ ») que le ministre des Finances du Québec (le « ministère des Finances ») a annoncée dans le budget du Québec de 2018 (le « Budget »), les entreprises non résidentes du Québec seront tenues de s’inscrire au régime de la TVQ et de percevoir et de remettre cette taxe lorsqu’elles effectuent des fournitures taxables à des « consommateurs québécois désignés » (qui sont, à ces fins, des personnes non inscrites au régime de la TVQ et dont le lieu de résidence habituel est situé au Québec), dans le cas où ces entreprises n’ont pas de présence physique ou significative au Québec et, par conséquent, ne sont pas actuellement tenues de s’inscrire au régime de la TVQ selon les règles actuelles (les « fournisseurs hors Québec »). L’Assemblée nationale du Québec a adopté le projet de loi 150 dans lequel figure cette proposition le 12 juin.

Plus précisément, ces fournisseurs hors Québec seront bientôt tenus de s’inscrire auprès de Revenu Québec aux fins de la TVQ et d’exiger, de percevoir et de remettre la TVQ sur certaines fournitures taxables effectuées à des consommateurs québécois désignés. Ces changements devraient prendre effet selon le calendrier suivant :

Le 1er janvier 2019, dans le cas des fournisseurs hors Québec qui sont situés à l’extérieur du Canada (les « fournisseurs hors Québec non canadiens »);
Le 1er septembre 2019, dans le cas des fournisseurs hors Québec qui sont situés ailleurs au Canada (les « fournisseurs hors Québec canadiens »).

Pourquoi ces nouvelles exigences relatives à la TVQ?

Il convient tout d’abord de souligner que, sur le plan juridique, ces règles n’introduisent pas une nouvelle taxe en vertu de la Loi sur la TVQ, même si l’expression « taxe Netflix » est communément utilisée dans ce contexte, ce qui laisse entendre que ces nouvelles règles ont pour effet d’étendre l’application de la TVQ au commerce électronique et aux transactions effectuées en ligne. Ce n’est pas le cas, puisque ces transactions ont toujours été soumises à l’application de la TVQ. Ce que ces règles feront effectivement, c’est de corriger ou réparer une immense lacune dans le filet fiscal et, ainsi, de colmater les fuites fiscales et les pertes de revenus considérables s’y rapportant pour le gouvernement du Québec. Bien qu’elles n’imposent légalement aucune nouvelle taxe, ces règles instaurent un mécanisme de perception viable à l’égard de la taxe existante. Leur effet pratique sera le suivant : dorénavant, les consommateurs québécois verseront prospectivement la TVQ sur des transactions qui échappaient auparavant à l’application de la TVQ et ce, même s’il s’agissait de transactions taxables.

Contrairement au cas où des biens corporels entrent au Canada pour être expédiés à des consommateurs québécois, il n’y a aucun mécanisme de perception de la TVQ à la frontière canadienne pour des services ou des biens meubles incorporels importés qu’achètent les consommateurs du Québec auprès de fournisseurs hors Québec non canadiens. La fourniture de ces services et de ces biens meubles incorporels est souvent facilitée par des plateformes de commerce électronique, qui permettent le téléchargement de divers contenus ou l’accès à ceux‑ci, en ligne ou par voie électronique. Il peut notamment s’agir d’émissions télévisées, de films, de musique et de revues et magazines (ces contenus étant ci‑après appelés aux présentes « fournitures numériques »).

Lorsque des biens taxables sont importés au Canada pour être expédiés à des consommateurs québécois, en vertu d’une entente entre le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec, l’Agence des services frontaliers du Canada (ou un autre agent désigné de perception à la frontière, par exemple Postes Canada) peut percevoir la TPS et la TVQ pour le compte du gouvernement fédéral et celui du Québec. Dans le cas de fournitures taxables de services ou de biens meubles incorporels, y compris des fournitures numériques, qu’effectuent des fournisseurs hors Québec non canadiens à des consommateurs du Québec, il incombe à ceux‑ci de déclarer et de verser par autocotisation la TVQ (ainsi que la TPS) directement à Revenu Québec. Dans la réalité, ils ne le font presque jamais.

Dans le cas de fournisseurs hors Québec canadiens, un autre problème se pose. Il n’existe aucun agent frontalier pour la perception de la TVQ sur les biens taxables expédiés au Québec en provenance d’une autre province ou d’un autre territoire du Canada. Ici encore, il incombe aux consommateurs québécois de déclarer et de verser par autocotisation la TVQ directement à Revenu Québec. Or, les consommateurs ne se conforment pratiquement jamais à ces obligations d’autocotisation, de déclaration et de paiement de la TVQ.

De façon réaliste, Revenu Québec ne peut pas directement prendre des mesures d’exécution contre les consommateurs. Les frais de perception liés à l’application de la loi contre un grand nombre de consommateurs qui doivent chacun un montant de taxe relativement modeste par transaction annuleraient les avantages de la perception de la TVQ impayée. En outre, du point de vue politique, toute tentative de la part du gouvernement afin de percevoir cette TVQ impayée directement auprès de nombreux consommateurs (et électeurs) québécois serait probablement vouée à l’échec.

Le système existant présente un autre problème. Les fournisseurs situés au Québec et inscrits aux fins de la TVQ sont tenus d’exiger et de percevoir la TVQ auprès des consommateurs québécois, ce qui les place en situation de désavantage concurrentiel par rapport aux fournisseurs hors Québec, qui ne sont pas tenus de le faire. Dans les faits, les fournitures numériques taxables (et certaines autres fournitures taxables) effectuées par des fournisseurs hors Québec peuvent effectivement être réalisées sans l’application de la TVQ (parce que les consommateurs, de façon générale, ne paient pas la TVQ applicable par autocotisation). Ces consommateurs épargnent le coût de la TVQ de 9,975 %, ce qui exerce une pression à la baisse inéquitable sur les prix pour les fournisseurs situés au Québec. Aucun gouvernement ne veut que ses propres entreprises locales soient moins bien traitées que les entreprises étrangères et leur imposer un désavantage commercial. À lui seul, cet aspect justifiait des mesures correctives.

La solution que propose et adopte le gouvernement du Québec – Inscription simplifiée aux fins de la TVQ et conformité

Le ministère des Finances a présenté un nouveau système d’inscription simplifiée aux fins de la TVQ (l’« inscription simplifiée ») pour les fournisseurs hors Québec, que le gouvernement du Québec a adopté par voie législative. L’inscription simplifiée sera offerte aux fins de la perception, de la déclaration et de la remise de la TVQ (i) aux fournisseurs hors Québec qui effectuent des fournitures taxables de services ou de biens meubles incorporels, y compris des fournitures numériques taxables, à des consommateurs québécois désignés et (ii) aux fournisseurs hors Québec canadiens dans le cas de fournitures taxables de biens à des consommateurs québécois désignés. Tout comme le régime actuel d’inscription générale (l’« inscription générale ») aux fins de la TVQ, le nouveau système comportera une dispense de l’inscription simplifiée pour les « petits fournisseurs », c’est‑à‑dire les entreprises dont les fournitures taxables ne dépassent pas 30 000 $ par année.

L’exigence d’inscription selon le processus de l’inscription simplifiée s’appliquera également aux plateformes numériques de distribution de biens et de services qui jouent un rôle d’intermédiaire clé dans la réalisation de fournitures taxables de biens meubles incorporels et de services à des consommateurs québécois désignés pour le compte de fournisseurs hors Québec. L’exigence d’inscription s’appliquera à une entreprise qui exploite une plateforme numérique de ce genre ou qui fournit un service de distribution dans des circonstances où elle contrôle les éléments clés de la transaction (tels que la facturation, les modalités et les conditions de la transaction, ainsi que les modalités de livraison). Toutefois, en règle générale, les entreprises qui ne fournissent qu’un service de transport ou de transfert (comme les fournisseurs de services Internet, par exemple), l’accès à un système de paiement ou un service de publicité qui informe les clients (sur les divers biens meubles ou services qu’offre un fournisseur) et comporte un lien au site Web de ce fournisseur ne seront pas considérées avoir le contrôle des éléments clés de la transaction et, par conséquent, ne seront pas soumises aux nouvelles exigences d’inscription.

Selon le régime de l’inscription simplifiée, l’inscription s’effectuera en ligne, les déclarations trimestrielles seront produites par voie électronique, et le versement de la TVQ pourra être fait par voie électronique. Les déclarations et les versements devront être effectués dans le mois suivant chaque trimestre. Des modifications seront apportées au régime de la TVQ pour que les fournisseurs hors Québec puissent verser la TVQ perçue dans une autre devise que la monnaie canadienne (ce qui sera pratique pour les fournisseurs hors Québec non canadiens qui ne conservent pas normalement des dollars canadiens dans un compte bancaire).

Le système sera également simplifié et rationalisé du fait que la TVQ perçue selon le régime de l’inscription simplifiée sera déclarée et versée sans le calcul du montant net des remboursements de la taxe sur les intrants (les « RTI »). Les fournisseurs hors Québec ne pourront réclamer des RTI pour récupérer la TVQ versée sur des intrants dans le cadre de leurs activités commerciales. Cette question concernant les RTI ne préoccupera pas nécessairement les fournisseurs hors Québec, puisqu’ils ne paient presqu’aucune TVQ, voire aucune, sur les intrants dans le cadre de leurs activités commerciales. Si, pour quelque raison que ce soit, cet aspect était préoccupant pour eux, les fournisseurs hors Québec pourraient volontairement choisir de s’inscrire aux fins de la TVQ selon le régime de l’inscription générale, à condition de donner et de maintenir une sûreté convenant à Revenu Québec.

La TVQ payable par des « consommateurs québécois désignés » selon le régime de l’inscription simplifiée ne pourra donner lieu à une demande de RTI. Les fournisseurs hors Québec seront donc libérés de l’obligation de fournir à ces consommateurs l’information prescrite sur les documents concernant le RTI. À cet égard, même si la TVQ avait été payable à un fournisseur selon le régime de l’inscription générale, un consommateur québécois désigné n’aurait eu accès à aucun RTI. En effet, comme il n’est pas un inscrit aux fins de la TVQ, un consommateur québécois désigné, de façon générale, n’a pas droit aux RTI. De plus, les services ou les biens meubles incorporels importés qui sont acquis à des fins personnelles ne devraient pas donner droit à une demande de RTI, puisque ces acquisitions n’ont pas trait à une « activité commerciale ».

Les fournisseurs hors Québec bénéficieront d’un délai d’un an à compter de la date d’application du système d’inscription simplifiée pour adopter des mesures de conformité appropriées et rajuster leurs propres processus internes. S’ils ont pris des mesures raisonnables afin de se conformer aux exigences de l’inscription simplifiée, mais n’y parviennent pas, Revenu Québec leur offrira de l’aide et n’imposera pas de pénalité. Après le délai de grâce d’un an, des pénalités seront imposées en cas de non‑conformité.

Pour respecter ces nouvelles exigences, les fournisseurs hors Québec devront déterminer si les destinataires de leurs fournitures taxables sont des « consommateurs québécois désignés », et la loi les obligera à vérifier le lieu de résidence habituel de ces destinataires en obtenant deux éléments d’information non contradictoires (comme l’adresse de facturation, une adresse résidentielle personnelle, etc.). La loi impose également une pénalité importante (correspondant au plus élevé de 100 $ ou de 50 % de la TVQ payable sur chaque transaction) au consommateur québécois désigné qui fournit des renseignements erronés pour éluder le paiement de la TVQ.

Modifications apportées aux règles relatives au lieu de fourniture

En règle générale, d’après le système actuel de la TVQ, lorsqu’un non‑résident du Québec n’est pas inscrit selon le régime d’inscription générale et ne fait pas affaire au Québec aux fins de la TVQ, les fournitures taxables de biens, notamment de biens meubles incorporels, ou de services sont considérées comme effectuées à l’extérieur de la province de Québec, ce qui dégage le fournisseur de l’obligation d’exiger et de percevoir la TVQ. Afin que les fournisseurs hors Québec soient tenus d’exiger et de percevoir la TVQ sur des fournitures taxables effectuées au Québec, la présomption relative au lieu de fourniture sera inversée dans les circonstances suivantes :

  • les fournitures taxables de services et de biens meubles incorporels à des consommateurs québécois désignés par des fournisseurs hors Québec inscrits selon le régime de l’inscription simplifiée;
  • les fournitures taxables de services et de biens meubles incorporels à des consommateurs québécois désignés par des fournisseurs hors Québec par l’entremise d’une plateforme numérique inscrite selon le régime de l’inscription simplifiée ou de l’inscription générale;
  • les fournitures taxables de biens à des consommateurs québécois désignés par des fournisseurs hors Québec canadiens.

En vertu de ces règles modifiées, un fournisseur hors Québec inscrit selon le régime de l’inscription simplifiée ne sera pas tenu, en règle générale, d’exiger et de percevoir la TVQ auprès d’entreprises québécoises et d’autres personnes inscrites aux fins de la TVQ qui ne sont pas des consommateurs québécois désignés. Les fournitures taxables d’un fournisseur hors Québec à ces personnes selon le régime de l’inscription simplifiée continueront de façon générale d’être réputées effectuées à l’extérieur de la province de Québec, ce qui dégage le fournisseur hors Québec de l’obligation d’exiger et de percevoir la TVQ.

Cette démarche sensée, moderne et équitable pourrait‑elle être contestée?

S’attaquant aux transactions transfrontalières de commerce électronique entrantes (aussi appelées « fournitures numériques taxables »), le gouvernement du Québec a adopté une démarche raisonnable, moderne et équitable, pleinement adaptée à la réalité commerciale du 21e siècle. Effectivement, le ministère des Finances a explicitement appliqué les principes que l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’« OCDE ») a récemment élaborés pour imposer des taxes sur la valeur ajoutée (la « TVA ») dans des transactions commerciales internationales (multijurisdictionnelles) entrantes en fonction de la juridiction de consommation ou d’utilisation, conformément au principe de la destination[1].

Pour inciter les fournisseurs hors Québec à s’inscrire selon le régime de l’inscription simplifiée, le gouvernement du Québec a réduit le fardeau administratif associé à la conformité aux exigences de l’inscription générale et a renoncé à l’exigence de la constitution d’une sûreté pour les fournisseurs hors Québec. Non seulement le ministère des Finances corrigera-t-il une immense lacune dans son système de perception des taxes, mais également il supprimera l’avantage concurrentiel inéquitable dont bénéficiaient les fournisseurs hors Québec par rapport à ceux du Québec. Rien ne justifie que deux transactions par ailleurs identiques soient taxées différemment selon qu’une transaction est conclue avec un fournisseur hors Québec plutôt qu’un fournisseur du Québec.

La démarche qu’a prise le gouvernement du Québec suscite toutefois une préoccupation quant à savoir si, en fin de compte, le mécanisme de perception de la taxe adopté par voie législative pourra être mis en application contre les fournisseurs hors Québec, notamment les fournisseurs hors Québec non canadiens. Y‑a‑t‑il des limites à la compétence de Revenu Québec d’appliquer ces nouvelles règles contre un fournisseur hors Québec n’ayant qu’un lien restreint ou aucun lien avec le Québec et d’exiger qu’un fournisseur hors Québec soit un agent de perception de la TVQ en vertu des lois québécoises? C’est à suivre.

par Jamie M. Wilks, Michel Ranger et Jonathan C. G. Bright

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2018

[1] OCDE (2017), Principes directeurs internationaux pour la TVA/TPS, Éditions OCDE, Paris, p. 15-17, qui sont commentés aux pages A-9 et A-10 du document du ministère des Finances intitulé « Renseignements additionnels sur les mesures fiscales » du Budget 2018-2019.

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