Les substances psychédéliques et le cadre réglementaire canadien
Les substances psychédéliques et le cadre réglementaire canadien
Le monde des marchés des capitaux au Canada a récemment connu une augmentation des investissements liés aux psychédéliques. Les entreprises actives dans ce secteur ont été cotées en bourse au Canada, et d’autres réunissent des capitaux et se développent dans le secteur des marchés exemptés, avec des projets futurs d’introduction en bourse. Le présent document décrit le cadre réglementaire canadien régissant l’exploitation d’une société spécialisée dans les psychédéliques.
Cette industrie émergente voit apparaître des acteurs qui souhaitent miser sur la recherche médicale et psychiatrique historique combinée au climat plus ouvert du monde actuel qui remet en question les anciennes normes sur la façon de traiter des questions telles que la maladie mentale et la dépendance. Du fait notamment de l’attention accrue portée au bien-être mental et de la légalisation du cannabis au Canada, les psychédéliques commencent à être considérés comme une voie de traitement potentielle. Bien que les psychédéliques et le cannabis soient historiquement classés comme des substances désignées en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (la « LRCDAS », une loi fédérale), cela ne suffit pas à établir un lien entre les deux secteurs. Alors que le marché récréatif du cannabis a créé une demande importante de la part des consommateurs, les entreprises qui exercent leurs activités dans l’industrie des psychédéliques ne cherchent pas à créer et à vendre des substances récréatives.
Bien que l’industrie ne soit pas monolithique, les entreprises du secteur psychédélique se concentrent souvent sur les cliniques et les centres de traitement, l’investissement dans les processus d’extraction, les applications pharmaceutiques ou d’autres efforts pour tirer parti des avantages thérapeutiques de ces substances. Pour les entreprises axées sur les produits pharmaceutiques, cela signifie que la voie du succès sera souvent basée sur des découvertes ainsi que sur l’achèvement de processus d’essais hautement réglementés et échelonnés, nécessaires à l’approbation du gouvernement avant que les médicaments puissent être mis sur le marché. Selon le territoire où elles exercent leurs activités, les entreprises non pharmaceutiques peuvent également être soumises à des degrés divers de réglementation.
Notions de base sur les psychédéliques
Les psychédéliques sont des drogues dont les effets modifient la perception ou élargissent l’esprit. La plupart des gens les considèrent comme une drogue récréative, mais en fait, ils ont une longue histoire d’utilisation médicale. Les psychédéliques naturels tels que les champignons magiques (psilocybine et psilocine), le cactus San Pedro et le cactus peyote (mescaline), ainsi que l’ayahuasca (DMT) sont utilisés comme médicaments dans les cérémonies traditionnelles depuis des siècles pour traiter un large éventail de maladies et stimuler la croissance spirituelle[1]. Bon nombre des pathologies traitées par ces psychédéliques seraient probablement considérées comme des troubles mentaux aujourd’hui, comme la dépendance, la dépression ou le trouble de stress post-traumatique.
À l’origine, le LSD, la MDMA et la kétamine étaient des drogues ayant un grand potentiel pour traiter les troubles mentaux et être utilisées comme un outil psychiatrique en raison de leurs qualités d’altération de la perception et de régulation de l’humeur. Bien que les premières études cliniques se soient révélées prometteuses, elles ont toutes été mises en veilleuse avant d’avoir donné des résultats concluants en raison du changement négatif de la perception publique et politique des psychédéliques après le mouvement de contre-culture des années 1960[2]. Les psychédéliques étaient alors utilisés à des fins récréatives, et une interdiction quasi mondiale des psychédéliques est entrée en vigueur pour y mettre un terme. Malheureusement, cette interdiction a également eu pour effet de limiter la recherche médicale en raison du fardeau réglementaire et des coûts accrus liés au travail sur ces composés.
Aujourd’hui, alors que la société est de mieux en mieux informée sur la santé mentale et prend conscience de la manière de traiter les maladies mentales, l’intérêt pour les psychédéliques a été grandement renouvelé en raison de leur immense potentiel de traitement. Les lois interdisant leur utilisation et la justification de ces interdictions sont remises en cause. En conséquence, le public s’ouvre à l’idée que les psychédéliques ne sont pas seulement un outil de traitement, mais aussi l’outil de traitement potentiellement le plus efficace pour certaines maladies[3]. De plus en plus d’études sont publiées, montrant que les psychédéliques sont en fait parmi les drogues les moins nocives, se classant bien en dessous de l’alcool, du tabac et même du cannabis[4]. Une nouvelle ère s’ouvre alors que les gouvernements en prennent note, que des centres de recherche sur les psychédéliques ouvrent leurs portes, que des universités mènent des études et que des essais cliniques sont approuvés. Dans les faits, la société est en plein débat sur les avantages potentiels de ces drogues.
Traitement au titre du droit canadien
Les drogues psychédéliques sont des « substances désignées » en vertu de la LRCDAS. Les substances désignées sont classées dans des annexes en fonction de leur danger présumé[5]. Les substances de l’annexe 1 sont considérées comme ayant le plus fort potentiel d’abus et sont assorties des sanctions les plus sévères en cas d’infraction – la sévérité des sanctions diminue pour les substances de l’annexe 2, et ainsi de suite.
La plupart des psychédéliques sont des substances de l’annexe 3, notamment le LSD, la psilocybine et la psilocine (champignons magiques), la mescaline (cactus peyote et San Pedro) et le DMT (présent dans de nombreuses plantes, mais le plus souvent un ingrédient de l’ayahuasca). La MDMA et la kétamine sont toutes deux des substances de l’annexe 1.
La LRCDAS interdit généralement toutes les utilisations de substances désignées, à moins qu’une exemption ne soit accordée en vertu de l’article 56 de la LRCDAS ou que les règlements ne le permettent autrement[6]. Pour cette raison, l’utilisation de l’exemption de l’article 56, telle que décrite ci-dessous, ou l’augmentation des approbations dans le cadre du processus réglementaire existant, semblent être les sources les plus probables d’expansion pour les participants devenant plus actifs dans l’industrie.
Exemption de l’article 56
Le ministre de la Santé peut accorder des exemptions en vertu de l’article 56 de la LRCDAS pour l’utilisation de substances désignées si cela est jugé nécessaire pour des raisons médicales ou scientifiques ou si cela est par ailleurs dans l’intérêt public[7]. On ne sait pas exactement comment et quand cette exemption peut être accordée pour les psychédéliques. En 2017, un groupe de médecins de Colombie-Britannique a présenté une demande d’exemption en vertu de l’article 56 pour avoir accès à la psilocybine afin de traiter les symptômes de détresse des patients en phase terminale. Cette demande a été rejetée en mars 2020 au motif qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour démontrer la nécessité médicale de la psilocybine[8]. Mais étant donné l’intérêt public et scientifique des traitements de santé mentale utilisant des psychédéliques, il est logique que les exemptions de l’article 56 puissent être une voie d’accès aux substances désignées comme psychédéliques à l’avenir, une fois que des études supplémentaires auront été publiées.
Exemptions réglementaires
Malgré l’interdiction générale des substances désignées, il existe des règlements qui peuvent permettre aux personnes autorisées de posséder, produire, vendre, importer/exporter et transporter des substances désignées. Le Règlement sur les aliments et drogues autorise les personnes (y compris les distributeurs autorisés et ceux qui sont exemptés en vertu de l’article 56 de la LRCDAS) à avoir accès aux psychédéliques[9]. La kétamine est réglementée comme un « stupéfiant » en vertu du Règlement sur les stupéfiants et est le seul psychédélique régi par ce règlement. Elle est déjà légalement disponible pour un usage médical[10].
Ce règlement fournit un cadre permettant d’étendre et de surveiller l’utilisation légale des substances désignées au Canada et, surtout, de délivrer des licences aux distributeurs potentiels.
Attribution de licences
Toute personne qui réside habituellement au Canada ou une société dont le siège social est situé au Canada peut demander une licence de distributeur de substances désignées. Actuellement, un distributeur autorisé ne peut vendre des substances psychédéliques à un établissement qu’à des fins cliniques ou de recherche. Avant la vente, l’établissement de recherche doit obtenir l’autorisation de Santé Canada[11]. Un distributeur autorisé peut également importer et exporter des substances désignées, mais il doit obtenir une autorisation de Santé Canada pour chaque importation ou exportation[12]. En bref, si la licence de distributeur ouvre la porte à l’achat et à la vente de psychédéliques, les activités sont encore très réglementées.
Vous trouverez un aperçu de la politique relative aux demandes de licence de distributeur autorisé dans le Guide de demande du gouvernement du Canada.
Précurseurs, spores et plantes
Les précurseurs sont des produits chimiques qui peuvent être utilisés pour fabriquer des substances désignées comme la MDMA, le LSD et la kétamine. La LRCDAS interdit les activités associées à la plupart des précurseurs utilisés pour la fabrication de substances désignées, à moins d’une exemption en vertu de l’article 56 ou d’une exemption réglementaire[13].
Bien qu’aucune loi ne l’autorise, la vente de spores de champignons magiques et de trousses de culture est tolérée au Canada depuis un certain temps. L’argument de la légalité des spores repose sur le fait que les spores ne contiennent pas de substance désignée – il n’y a pas de psilocybine dans les spores elles-mêmes. Selon cette approche de la loi, une fois que les spores germent et que le mycélium d’un champignon magique se forme, il devient une substance désignée, comme c’est le cas lorsque la psilocybine est présente.
Le cactus peyote est spécifiquement exempté de la liste des substances désignées de l’annexe 3 de la LRCDAS, bien qu’il contienne de la mescaline, et sa culture, sa vente et sa consommation sont légales au Canada. Toutefois, l’extraction et l’isolement de la mescaline du peyote est contraire à la LRCDAS, car on serait alors en possession d’une substance désignée : la mescaline. Cette exemption pour le peyote (et non pour les champignons ou autres plantes) est due à l’importance historique du peyote pour les communautés indigènes du Canada.
Le cactus San Pedro n’est pas exempté et ne peut être cultivé qu’à des fins ornementales. Il en va de même pour les nombreuses plantes qui contiennent du DMT – l’extraction de la substance désignée violerait la LRCDAS.
Conclusion
Le paysage juridique et réglementaire concernant les psychédéliques continue d’évoluer au fur et à mesure qu’il est parcouru. Nous prévoyons la possibilité de changements par une augmentation du nombre d’acteurs sur la base d’applications plus larges de l’article 56 de la LRCDAS ou d’une augmentation des approbations accordées par Santé Canada en vertu des règlements existants. Malgré cela, il est important de noter qu’à l’heure actuelle, le secteur des psychédéliques au Canada est très réglementé, et les entreprises qui souhaitent y exercer leurs activités devront faire face à des complexités en matière de conformité. Bien que le public investisseur ait clairement montré qu’il était prêt à le soutenir en capitalisant les émetteurs dans ce secteur, les psychédéliques demeurent à un stade émergent.
Nous continuerons à suivre l’évolution du secteur des psychédéliques, et nous ferons le point sur les changements dans le cadre juridique et réglementaire en temps utile.
par Leila Rafi, Sasa Jarvis et David Jol (étudiant en droit)
[1] David E. Nichols, « Psychedelics » (2016), Pharmacological Reviews avril 2016; 68(2) : 264–355, en ligne : ASPET: Pharmacological Reviews.
[2] Idem.
[3] Ira Byock, « Taking Psychedelics Seriously » (2018), Journal of Palliative Medicine, 1er avril 2018; 21(4): 417–421, en ligne : Mary Ann Liebert, Inc., publishers.
[4] David J. Nutt, Leslie A King, et Lawrence D Phillips, « Drug harms in the UK: a multicriteria decision analysis » (1er novembre 2010), The Lancet, Volume 376, Issue 9752, P. 1558-1565, en ligne : The Lancet.
[5] Gouvernement du Canada, « Substances contrôlées et précurseurs chimiques » (27 avril 2020), en ligne : ici.
[6] Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19, art. 4-7.
[7] Gouvernement du Canada, « Substances contrôlées et précurseurs chimiques – Exemptions » (20 août 2015), en ligne : ici.
[8] Jackie Dunham, Avis Favaro et Elizabeth St. Philip, « Terminally ill Canadians apply for legal access to ‘magic mushrooms’ drug » (8 juin 2020), en ligne : CTV News.
[9] Règlement sur les aliments et drogues, CRC, c 870, partie J (1978) [RAD].
[10] Gouvernement du Canada, « Kétamine » (3 avril 2020), en ligne : ici. Voir aussi Règlement sur les stupéfiants, CRC, c 1041, art. 3(1) (1978).
[11] Gouvernement du Canada, « Foire aux questions – Règlement sur les aliments et drogues » (27 juin 2016), en ligne : ici.
[12] RAD, supra note 9 à la partie J.01.038 et J.01.048.
[13] Gouvernement du Canada, « Réglementer les substances désignées et les précurseurs » (31 janvier 2019), en ligne : ici.
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder entièrement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.
© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2020
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