Le critère de « diligence requise » en ce qui concerne le paiement des taxes annuelles pour le maintien en état d’un brevet
Le critère de « diligence requise » en ce qui concerne le paiement des taxes annuelles pour le maintien en état d’un brevet
Le critère de « diligence requise » est relativement nouveau en droit des brevets au Canada, et une décision récente de la Cour fédérale du Canada (datée de février 2024) fournit aux demandeurs et aux titulaires de brevets des indications supplémentaires sur la façon dont ledit critère sera appliqué.
Dans l’affaire Taillefer c. Canada (Attorney General)[1], la Cour fédérale s’est penchée sur l’étendue du critère de « diligence requise » concernant le paiement des taxes annuelles pour le maintien en état d’un brevet. La Cour a fini par souscrire à la décision du commissaire aux brevets (le Commissaire) et par rejeter la demande du breveté de rétablir son brevet canadien. Le brevet était réputé avoir expiré parce que le breveté n’avait pas payé à temps les taxes pour le maintien en état du brevet au moment de son dixième anniversaire.
Exigences en matière de taxes pour le maintien en état du brevet
Aux termes de la Loi sur les brevets[2], un breveté doit payer une taxe annuelle pour le maintien en état d’un brevet délivré[3]. Si la taxe n’est pas payée à sa date d’échéance, le breveté dispose généralement de six mois supplémentaires (période de retard) pour payer la taxe ainsi qu’une taxe de retard afin de maintenir le brevet en état[4]. Si la taxe pour le maintien en état du brevet et la taxe de retard ne sont pas payées à la fin de la période de retard, le Commissaire délivrera un avis concernant la possibilité d’une expiration réputée du brevet. Une fois que le brevet est réputé avoir expiré, le breveté peut tenter de le faire rétablir en démontrant avec succès au Commissaire que le défaut de paiement de la taxe pour le maintien en état du brevet s’est produit bien qu’il ait fait preuve de la diligence requise dans les circonstances[5], [6].
Contexte
Dans l’affaire précitée, le breveté est le propriétaire et l’inventeur du brevet d’une surfaceuse à glace. Le breveté a nommé un agent de brevets. Tous deux ont convenu que l’agent exigerait des instructions du breveté avant d’effectuer le paiement des taxes annuelles pour le maintien en état du brevet. Voici la chronologie des événements :
- De 2010 à 2019: Le breveté et l’agent ont régulièrement communiqué par courriel au sujet du paiement des taxes annuelles pour le maintien en état du brevet. Les taxes annuelles ont été payées à temps au cours de cette période.
- 18 septembre 2019: L’agent a envoyé un courriel au breveté pour lui demander ses instructions sur le paiement des taxes pour le maintien en état du brevet dues le 20 janvier 2020.
- 17 décembre 2019, 6 janvier 2020 et 20 janvier 2020: L’agent a envoyé trois courriels de rappel indiquant que les taxes pour le maintien en état du brevet ne seraient pas payées en l’absence d’instructions précises du breveté.
- 20 janvier 2020: Comme l’agent n’avait pas reçu d’instructions, les taxes pour le maintien en état du brevet n’ont pas été payées à la date limite du 20 janvier 2020.
- 31 mars, 16 juillet et 17 juillet 2020: L’agent a envoyé des courriels de rappel au breveté, l’informant que le paiement n’avait pas été effectué et que la date limite pour corriger le paiement des taxes de retard était le 21 juillet 2020.
- 20 octobre 2020: L’agent a envoyé un courriel au breveté pour l’informer que le brevet était réputé expiré.
- 29 octobre 2020: Le breveté a trouvé dans sa boîte de courriers indésirables les courriels de l’agent auxquels il n’avait pas répondu. Il a chargé l’agent de demander le rétablissement du brevet.
Le 20 décembre 2022, le Commissaire a décidé de rejeter la demande du breveté et de ne pas annuler l’expiration réputée du brevet. Le Commissaire n’était pas convaincu que le défaut de paiement des taxes pour le maintien en état avant la date limite était survenu [traduction] « malgré le fait que l’agent avait fait preuve de la diligence requise dans les circonstances ». En d’autres termes, le Commissaire a conclu que le breveté n’avait pas respecté le critère de « diligence requise » aux termes de la Loi sur les brevets[7]. Par conséquent, il était d’avis que le breveté n’avait pas pris toutes les mesures qu’un titulaire de brevet raisonnablement prudent aurait prises dans les circonstances.
L’analyse de la Cour fédérale
En ce qui concerne les paiements de taxes pour maintien en état du brevet : i) les décisions du Commissaire aux brevets sont examinées selon les critères énoncés dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65[8]; et ii) le critère de « diligence requise » est [traduction] « de savoir si le breveté a pris toutes les mesures qu’un breveté raisonnablement prudent aurait prises, compte tenu des circonstances particulières, pour éviter le défaut de paiement et que – bien qu’il ait pris de telles mesures – le défaut s’est néanmoins produit »[9].
Le breveté a fait valoir qu’étant donné que le système de communication par courriel s’était avéré fiable dans le passé et que le problème n’aurait pas pu être anticipé, il avait démontré avoir fait preuve de suffisamment de diligence requise[10]. Le Commissaire n’était pas d’accord, et la Cour a souscrit à l’avis du Commissaire selon lequel il était raisonnable de s’attendre à ce que l’agent et le breveté aient des moyens de communication de rechange en place pour continuer de communiquer efficacement en ce qui concerne les échéances importantes[11]. Bien qu’il ait été clair que la communication entre le breveté et l’agent était primordiale pour veiller au paiement des taxes pour le maintien en état du brevet, aucune mesure n’a été prise pour veiller à ce que les voies de communications demeurent efficaces ou pour établir d’autres méthodes de communication au cas où la méthode préconisée perdait sa fiabilité[12]. La Cour a mentionné que le Commissaire avait raison de s’attendre à ce qu’un breveté raisonnablement prudent mette en place un système pour veiller à ce que ses courriels soient bien reçus s’il s’agissait du moyen de communication principal afin de payer les taxes pour le maintien en état du brevet[13], d’autant plus qu’il incombait toujours au breveté de donner des instructions à l’agent chaque année pour le paiement des taxes pour le maintien en état[14].
En outre, vu que le breveté avait effectué des paiements de taxes similaires au cours des dernières années, la Cour a affirmé qu’il aurait été au courant de la taxe annuelle pour le maintien en état du brevet et de la nécessité de fournir des instructions pour le paiement de ladite taxe.
La Cour a finalement souscrit à la conclusion du Commissaire selon laquelle les efforts déployés par l’agent et le breveté étaient insuffisants pour satisfaire au critère de « diligence requise » dans les circonstances.
Points principaux à retenir
Il est souhaitable que les titulaires de brevets connaissent les principaux points à retenir de la décision Taillefer :
- En ce qui concerne les échéances importantes telles que le paiement des taxes annuelles pour le maintien en état d’un brevet, et lorsqu’un agent est engagé, il est important de veiller à ce que des voies de communication de rechange soient mises en place entre le titulaire du brevet et l’agent. Il incombe au titulaire du brevet de veiller à ce que les voies de communication demeurent efficaces[15]; et
- Dans le cas où il embauche un agent, le titulaire du brevet a l’obligation non seulement de désigner un représentant bien formé et qualifié, mais aussi de veiller à ce que des mesures prudentes soient prises en ce qui concerne les instructions et les dispositions relatives aux dépôts[16].
D’un point de vue pratique, il serait souhaitable que les titulaires de brevets envisagent de prendre les mesures proactives suivantes afin de minimiser la probabilité de perdre des droits de brevet en raison d’un défaut de paiement des taxes pour le maintien en état du brevet dans les délais établis :
- En plus de demander à votre agent d’enregistrer les échéances importantes, les inscrire dans votre système et faire un suivi auprès de votre agent en conséquence;
- Fournir à votre agent un moyen de communication de rechange (p. ex., une adresse courriel de rechange, un numéro de téléphone, un numéro de télécopieur ou une adresse postale);
- Vérifier régulièrement votre boîte de courriers indésirables au cas où des courriels importants (comme ceux qui concernent les taxes annuelles) y seraient dirigés par accident.
Le critère de « diligence requise » est un critère de niveau élevé. Comme l’illustre la décision Taillefer, le défaut de payer à temps les taxes pour maintenir en état le brevet peut avoir des conséquences graves – même si les frais sont finalement payés après la date limite du paiement des taxes en retard.
par Pablo Tseng, Alex Buonassisi, Ada Ang (stagiaire) (liens en anglais)
[1] Taillefer c. Canada (Attorney General), 2024 FC 259 (la décision « Taillefer ») (lien en anglais).
[2] Loi sur les brevets, LRC 1985 ch. P-4.
[3] Ibid., art. 46(1).
[4] Ibid., art. 46(3).
[5] Ibid., art. 46(5).
[6] Les remarques contenues dans ce paragraphe s’appliquent également aux demandes de brevet avec les modifications qui s’imposent. Veuillez consulter l’art. 27.1 de la Loi sur les brevets, LRC 1985 ch. P-4 pour connaître les règles qui régissent le paiement des taxes pour le maintien en état des demandes de brevets.
[7] Ibid., art. 46(5)b).
[8] Ibid., Supra note 1, par. 22.
[9] Recueil des pratiques du Bureau des brevets, par. 03.03.
[10] Supra note 1, par. 32.
[11] Supra note 1, par. 41.
[12] Supra note 1, par. 40 et 41.
[13] Supra note 1, par. 42.
[14] Supra note 1, par. 42.
[15] Supra note 1, par. 42 et 47.
[16] Supra note 1, par. 48.
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis. Il est préférable d’obtenir un avis juridique spécifique.
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