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Recevoir gratuitement des matériaux contaminés à titre de remblai n’est pas sans risque

3 janvier 2023 Bulletin sur l'immobilier et la construction Lecture de 4 min

Ce n’est pas tous les jours que la « donation », une catégorie de contrats régie par le Code civil du Québec (ci-après le « Code »), est abordée dans un contexte de droit de l’environnement. C’est la raison pour laquelle la décision Garneau c. Ville de Victoriaville[1], rendue par la Cour supérieure du Québec à l’automne 2022, est intéressante. Le Tribunal a eu à analyser une situation où des sols potentiellement contaminés ont été livrés gratuitement sur le terrain de propriétaires, mettant un frein à la vente de celui-ci.

Le contexte factuel

En 2016, Pierrette Garneau, propriétaire d’un terrain depuis 2005, et son époux, Albert Sévigny, contactent la Ville de Victoriaville dans le contexte où ils souhaitent procéder au rehaussement d’une portion du terrain en question, qui faisait l’objet d’une servitude en faveur de la Ville. Lors de la première visite sur les lieux, Garneau et Sévigny demandent à la Ville si elle dispose de matériaux de remblai afin de remplir le terrain qui est affecté d’un important dénivelé, ce à quoi la Ville répond par l’affirmative. Ainsi, durant les travaux, qui se sont échelonnés en 2016 et 2017, la Ville a livré sur le terrain des matériaux de remblai sans que Garneau et Sévigny ne lui verse aucune contrepartie.

Ce n’est que lorsque le couple décide de vendre le terrain en 2019 et accepte une offre d’achat qu’une étude révèle que les sols d’une partie du terrain seraient contaminés. Une expertise additionnelle subséquente confirme la présence de contaminants dans les sols, soit des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) en excès des concentrations applicables à un usage résidentiel[2] .

Les demandeurs souhaitent donc que le tribunal ordonne à la Ville d’effectuer des travaux de décontamination du terrain visé. Dans le cas où cette dernière refuserait d’exécuter les travaux dans le délai imparti, les demandeurs demandent à ce que la Ville soit condamnée à leur verser une somme de 86 931$ en dommages-intérêts.

De son côté, la Ville ne conteste pas l’expertise établissant la contamination, mais elle nie toute responsabilité.

L’analyse et la décision du Tribunal

Afin d’établir la responsabilité civile de la Ville défenderesse en vertu de l’article 1457 du Code, les demandeurs devaient démontrer, selon la balance des probabilités[3], les deux éléments suivants:

1) les sols étaient exempts de contamination avant les travaux exécutés par la Ville; et

2) les matériaux de remblai que cette dernière a livrés étaient contaminés.

Cependant, aucune expertise concluant à ces deux aspects n’a été produite en preuve. En l’absence d’une telle preuve déterminante, il aurait fallu que les demandeurs établissent des présomptions graves, précises et concordantes[4] qui permettraient de conclure que la contamination d’une partie du terrain résulte de la faute de la Ville. Or, les demandeurs n’ont pas réussi à établir cette preuve par présomption de fait[5] non plus.

Au contraire, la preuve a plutôt révélé que des matériaux avaient été livrés sur le terrain par des personnes autres que la Ville. Le Tribunal a donc rejeté la demande et n’a pas procédé à l’analyse des dommages réclamés.

Par ailleurs, le Tribunal a précisé, de façon particulièrement intéressante, que même si les demandeurs avaient réussi à démontrer de manière convaincante que les sols contaminés sur le terrain résultaient du fait fautif de la Ville, leur recours était voué à l’échec puisque la livraison des matériaux de remblai remplissait les critères d’une donation au sens de l’article 1806 du Code, et non ceux d’une vente.

En d’autres mots, comme la Ville ne retire aucun avantage matériel ou onéreux en livrant gratuitement des matériaux de remblai aux citoyens qui le requièrent, elle ne pourrait être condamnée à verser des dommages-intérêts aux demandeurs, et ce, même si la preuve avait établi que la Ville avait effectivement commis la faute alléguée. En effet, le Code accorde une certaine décharge de responsabilité au donateur. Bien que le Tribunal n’en ait pas fait mention dans sa décision, l’article 1828 du Code met l’accent sur cette exclusion de responsabilité dont bénéficie le donateur en ce qui concerne la garantie de qualité du bien donné:

« Le donateur ne répond pas des vices cachés qui affectent le bien donné.

Toutefois, il est tenu de réparer le préjudice causé au donataire en raison d’un vice qui porte atteinte à son intégrité physique, s’il connaissait ce vice et ne l’a pas révélé lors de la donation. » (nos soulignements)

À retenir

Les dispositions du Code portant sur la donation accordent un certain niveau de protection au donateur lorsqu’il se fait poursuivre en réparation d’un préjudice matériel ou moral causé au donataire par le bien donné affecté d’un vice caché. À l’inverse, cette protection n’est pas accordée au vendeur[6]. Il serait donc prudent pour toute personne de garder à l’esprit ces règles lorsqu’elle reçoit gratuitement des sols ou d’autres matières en vue du remblayage de son terrain. Avant de recevoir de tels sols ou matières, ceux-ci devraient, au minimum, être caractérisés afin de valider l’absence de contamination à des niveaux non acceptables.

[1] Garneau c. Ville de Victoriaville, 2022 QCCS 4018
[2] En vertu du Guide d’intervention – Protection des sols et de réhabilitation des terrains contaminés du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (version non spécifiée)
[3] Article 2804 du Code
[4] Article 2849 du Code
[5] Article 2811 du Code
[6] Article 1726 du Code

par Martin Thiboutot

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2023

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