Une nouvelle zone de libre-échange immense
Le PTPGP créera l’un des plus grands blocs de libre‑échange du monde. Les 11 parties représentent un marché de 500 millions de personnes et un PIB de 10 T$ US. Du côté des Amériques, les participants sont le Canada, le Mexique, le Chili[2] et le Pérou. Dans la région de l’Asie‑Pacifique, les participants sont l’Australie, le Brunéi, le Japon, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, Singapour et le Vietnam. Sur le plan économique, le partenaire le plus important est le Japon, qui contribue pour environ la moitié du PIB total, et le Canada est deuxième en importance, comptant pour quelque 15 % du PIB total.
Comme le prévoyait l’Accord initial, les droits de douane imposés sur environ 95 % des produits doivent être éliminés au fil du temps. L’Accord renferme également des engagements importants au titre des obstacles non tarifaires, des services, de l’investissement et sur une foule d’autres sujets.
Changements apportés au PTPGP
Propriété intellectuelle : Le PTPGP suspend partiellement l’application de 14 articles différents du PTP initial portant sur les droits de PI. Ces articles ont notamment trait à la brevetabilité de nouvelles utilisations d’inventions existantes, au cadre temporel et à l’efficacité de l’examen des produits pharmaceutiques, de même qu’à une durée uniforme du droit d’auteur de 70 ans à compter de la première publication autorisée. Le PTPGP renferme néanmoins des dispositions plus détaillées en matière de droits de PI que les autres accords commerciaux importants auxquels le Canada est partie, comme l’AECG (Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne)[3], mais sans la participation revendicatrice des États-Unis, certaines protections ont été réduites. Pour une analyse plus détaillée des dispositions du PTP en matière de PI et de leur incidence sur les lois canadiennes en cette matière, veuillez vous reporter à notre commentaire.
Protection de l’investissement : Le PTPGP suspend quelques dispositions du PTP initial concernant les « accords d’investissement » et les « autorisations d’investissement », concepts qui ne figurent pas dans l’AECG. Ces changements suppriment la possibilité offerte aux investisseurs étrangers de soumettre une affaire au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États dans certains cas précis. Toutefois, la très grande majorité des protections en matière d’investissement ont été maintenues, malgré la controverse qui resurgit périodiquement au sujet de l’autonomie gouvernementale.
Marchés publics : Les dispositions relatives aux marchés publics demeurent en grande partie inchangées, exception faite de la suspension de la condition selon laquelle le produit ou le service doit être fourni conformément aux droits dans le domaine du travail reconnus dans le PTPGP, alors même que la condition prévue dans le PTP initial n’était pas particulièrement onéreuse. L’AECG ne renferme pas de disposition comparable.
Dispositions ultramodernes
Lutte contre la corruption : Le PTP initial comprenait un chapitre sur la lutte contre la corruption, qui n’a pas d’équivalent dans l’AECG ou d’autres accords commerciaux importants. Le Canada est déjà un chef de file dans ce domaine, puisqu’il a modernisé sa Loi sur la corruption d’agents publics étrangers en 2013 (voir notre commentaire) et, plus récemment, a suivi l’exemple tracé par la loi du Royaume-Uni intitulée Bribery Act en rendant illégaux les « paiements de facilitation » (voir notre commentaire). Selon le chapitre du PTPGP sur la lutte contre la corruption, tous les pays sont tenus de créer ou de maintenir des infractions criminelles pour lutter contre la corruption d’agents publics, d’imposer au besoin des règles plus rigoureuses de tenue de livres et d’établir des programmes de formation afin de promouvoir l’intégrité des agents publics. Bien que ces mesures de nature systémique ne s’appliquent pas à des affaires individuelles, elles visent à rehausser les normes de mise en application des mesures de lutte contre la corruption dans tous les pays signataires du PTPGP, dans le but de réduire les incidences de la corruption sur le commerce et l’investissement international entre les parties.
Politique en matière de concurrence : Le chapitre du PTPGP sur la politique en matière de concurrence est beaucoup plus substantiel que ses équivalents dans d’autres accords commerciaux. Il oblige tous les pays à adopter ou à maintenir une législation nationale sur la concurrence prohibant les comportements commerciaux anticoncurrentiels, ainsi que des lois sur la protection du consommateur qui interdisent les activités commerciales frauduleuses et trompeuses. La mise en application de ces politiques doit être, autant que possible, équitable sur le plan procédural et transparente. Aux termes du PTPGP, chaque pays est également tenu de conférer à toute personne un droit d’action privé qui lui permet de demander réparation à l’égard d’un préjudice subi par son établissement d’affaires ou d’une atteinte à ses biens découlant d’une violation de la législation nationale sur la concurrence. Même si le processus de règlement des différends ne s’applique pas aux instances entre parties privées, ces dispositions visent à hausser la norme minimale de mise en application des lois sur la concurrence dans l’ensemble des pays signataires du PTPGP.
Environnement : Étant un accord commercial moderne, le PTPGP comporte un chapitre important sur les obligations environnementales, et ses dispositions dans ce domaine sont à peu près l’équivalent de celles qui figurent dans l’AECG. Le chapitre du PTPGP est doublé d’un mécanisme de règlement des différends, ce qui donne du mordant à cet accord signé par un groupe diversifié de 11 parties. Nous avons analysé auparavant le chapitre du PTP portant sur l’environnement (voir notre commentaire).
Lettres d’accompagnement
Certains domaines que le Canada souhaitait voir englober dans le PTPGP ne sont pas abordés dans l’accord multilatéral définitif. Toutefois, le gouvernement canadien est en voie de conclure une série de lettres d’accompagnement avec les pays signataires de façon individuelle afin d’obtenir des protections supplémentaires à l’égard de son secteur culturel et de son industrie automobile. Pour ce qui est de la culture, on prévoit que le Canada conclura des lettres d’accompagnement avec les pays signataires pour assurer une protection aux activités des gouvernements fédéral et provinciaux dans le domaine culturel et, en particulier, en ce qui a trait à la langue française. Dans le secteur de l’automobile, le Canada a déjà conclu des lettres d’accompagnement avec le Japon et la Malaisie et en négocie une avec l’Australie. Les accords conclus avec le Japon et la Malaisie traitent des règles d’origine (notamment afin de permettre au Canada de bénéficier de concessions dans des accords futurs avec d’autres pays non signataires, comme les États-Unis) et du mécanisme de règlement des différends. La lettre d’accompagnement devant intervenir avec l’Australie devrait être similaire dans les grandes lignes à ces accords.
Prochaines étapes et conséquences futures
La signature du PTPGP doit avoir lieu en mars. Dès que 6 des 11 parties auront ratifié l’accord (à condition que ces 6 parties comptent pour au moins 85 % du PIB de l’ensemble des parties), l’accord entrera en vigueur entre elles, ce qui devrait se produire vers la fin de 2018 ou au début de 2019. La majorité des réductions tarifaires sur les marchandises prendront effet lorsque le PTPGP entrera en vigueur, tout comme les dispositions sur la libéralisation des services et l’investissement.
Lorsque l’AECG et le PTPGP seront en place, le Canada aura considérablement étendu ses relations dans deux des plus vastes blocs commerciaux du monde. De plus, même si la Corée du Sud n’est pas partie au PTPGP, le Canada a récemment conclu un accord de libre-échange moderne avec cette puissance économique de premier plan dans la région de l’Asie‑Pacifique (voir notre commentaire).
Le moment de l’annonce concernant le PTPGP est digne de mention, puisque le Canada a récemment été l’hôte de la sixième ronde de négociations visant la modernisation de l’ALENA. Si ces négociations sont fructueuses, le Canada sera dans une position incomparable pour le commerce et les flux d’investissement nord-américains, transatlantiques et transpacifiques. Si l’ALENA est résilié, le PTPGP continuera de prévoir un libre‑échange important entre le Canada et le Mexique, tandis que le Canada et les États‑Unis redeviendront assujettis aux modalités de l’Accord de libre‑échange canado-américain de 1988.
par A. Neil Campbell, Jonathan O’Hara et Bob Bell, étudiant en droit
[2] Un accord de libre‑échange existe actuellement entre le Canada et le Chili. Cet accord mis en oeuvre en 1997 semble compatible avec le PTPGP et devrait donc demeurer en vigueur parallèlement à celui‑ci.