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Les prêts garantis au Canada : guide pour les prêteurs américains

1er juin 2023 Bulletin sur les services financiers Lecture de 19 min

Les politiques de libre-échange et l’intensification de la concurrence mondiale ont accentué l’interdépendance et les liens économiques étroits qui caractérisent la relation entre le Canada et les États-Unis, faisant du marché canadien un terreau intéressant pour les entreprises américaines. Cette abondance d’occasions d’affaires a donné naissance à un marché de prêts transfrontaliers fort actif. Bien entendu, les prêteurs des États-Unis qui font des opérations au Canada doivent être au fait des particularités juridiques de ce dernier.

Notre guide résume les aspects fondamentaux suivants des prêts garantis au Canada : considérations réglementaires, fiscalité, sûretés, et insolvabilité et restructuration.

I.          Considérations réglementaires

Selon la Loi sur les banques (Canada), une « banque étrangère » ne peut pas exercer ses activités au Canada, sauf autorisation aux termes de cette loi (par exemple par l’entremise d’une filiale de banque étrangère ou d’une succursale étrangère autorisée). La Loi sur les banques adopte une définition large du terme « banque étrangère », qui vise toute entité qui, dans son pays d’origine, porte le titre de banque, est régie comme une banque ou exerce les activités d’une banque. Le terme vise aussi toute entité qui contrôle une banque étrangère ou qui fournit des services financiers et est affiliée à une banque étrangère.

Malgré ce qui précède, une banque étrangère peut consentir un prêt à un emprunteur canadien si la nature et la portée de l’ensemble de ses activités au Canada ne font pas en sorte qu’elle fait des affaires au Canada. Une banque étrangère pourrait être considérée comme exerçant des activités au Canada en raison d’un seul prêt, selon les circonstances. La Loi sur les banques ne précise pas les facteurs que l’organisme de réglementation des banques, le Bureau du surintendant des institutions financières, prend en compte pour trancher cette question. Cela dit, la façon dont la relation entre la banque étrangère et l’emprunteur canadien est née, l’endroit où les documents ont été négociés et signés et le lieu de la clôture de l’opération sont certainement des facteurs pertinents. En règle générale, si tous les aspects du marchandisage, de la négociation, de la signature et de la clôture de l’opération de prêt ont eu lieu à l’extérieur du Canada, on ne considérera pas que la banque exerce des activités au Canada du seul fait de cette opération.

La réglementation fédérale offre plusieurs possibilités aux banques étrangères qui souhaitent avoir une présence au Canada :

  • Une banque étrangère admissible peut offrir ses services bancaires de gros directement par l’entremise d’une succursale au Canada. Les succursales de banques étrangères sont assujetties à un régime réglementaire parallèle à celui qui s’applique aux entités canadiennes.
  • La banque peut établir une filiale de banque étrangère. Ces filiales ont le statut de banque à charte canadienne et sont régies comme leur pendant canadien.
  • La banque peut établir et maintenir en place un bureau de représentation au Canada. Elle devra alors se contenter de faire la promotion de ses services et d’y agir comme liaison auprès de ses clients.

II.          Fiscalité

a. Retenue fiscale 

Les paiements contractuels d’intérêt faits à des prêteurs « sans lien de dépendance » qui ne sont pas des résidents du Canada ne sont généralement pas assujettis à la retenue d’impôt canadien, et ce, peu importe le pays de résidence du prêteur.

Ceux qui sont faits à certains prêteurs résidant aux États-Unis ayant un lien de dépendance peuvent aussi être exemptés de retenue aux termes de la convention de 1980 entre le Canada et les États-Unis en matière d’impôts sur le revenu, dans sa version modifiée.

Les prêteurs ne résidant pas aux États-Unis qui ne profitent pas des avantages d’un traité fiscal bilatéral pourraient devoir payer la retenue d’impôt sur les paiements contractuels d’intérêt, au taux de 25 %. Ceux qui résident dans un pays avec lequel le Canada a conclu un traité fiscal bilatéral et qui ont droit aux avantages conférés par celui-ci peuvent réclamer le taux d’imposition réduit qui y est prévu.

Les prêteurs doivent savoir que les paiements d’intérêt faits sur des prêts adossés (y compris entre des parties liées) qui passent par un tiers intermédiaire peuvent être assujettis aux retenues fiscales canadiennes.

b.  Règles de capitalisation restreinte

Pour décourager la capitalisation de sociétés résidentes du Canada ayant d’importantes dettes portant intérêt auprès de prêteurs non résidents leur étant liés, plus précisément pour éviter qu’une partie de leurs profits échappent à l’imposition au Canada, le gouvernement canadien a adopté des règles particulières sur la capitalisation restreinte. Ces règles limitent la déduction d’intérêt qui peut être demandée sur la portion des prêts consentis par des prêteurs liés non résidents qui excède l’équivalent d’une fois et demie les capitaux propres de la société (bénéfices non répartis, capital social et surplus d’apport attribuable aux non-résidents précisés). Les intérêts « excédentaires » seront généralement traités comme un dividende non déductible et soumis à une retenue au taux de 25 %, sous réserve des réductions prévues par les traités fiscaux.

De plus, des limites à la déductibilité des intérêts ont été proposées dans un régime de « restriction des dépenses excessives d’intérêts et de financement », ou « RDEIF ». Une fois en vigueur, les règles de RDEIF limiteront encore davantage la capacité de certains contribuables à déduire certaines dépenses d’intérêts dans le calcul de leur revenu imposable. Les règles de capitalisation restreinte ne s’appliquent généralement pas au prêt direct consenti par un prêteur américain sans lien de dépendance.

III.           Prise de sûretés au Canada

a.  Cadre législatif

Au Canada, la constitution et la réalisation des sûretés sont de compétence provinciale. Comme le pays compte dix provinces et trois territoires, l’octroi de sûretés immobilières et mobilières est encadré par treize régimes légaux. Les systèmes d’enregistrement ou de titres fonciers des provinces régissent les premières, et les lois provinciales sur les sûretés mobilières régissent les deuxièmes. Les sûretés accordées à des banques au titre de la Loi sur les banques, abordées plus loin, font toutefois exception.

i.          Provinces et territoires ayant une LSM 

Une loi sur les sûretés mobilières (une « LSM ») semblable à l’article 9 du Uniform Commercial Code des États-Unis a été adoptée dans toutes les provinces et tous les territoires du Canada, sauf le Québec, qui utilise son code civil, comme nous le verrons plus loin.

La constitution, la perfection et la réalisation d’une sûreté grevant un bien meuble du débiteur sont régies par la LSM applicable. La LSM crée aussi un système pour déterminer l’ordre de priorité des différentes sûretés qui portent sur un même bien. La LSM s’applique à toute opération qui grève un bien meuble d’une sûreté, quel que soit le document utilisé pour la consentir.

Les LSM définissent une « sûreté » comme un intérêt sur un bien meuble qui garantit le paiement ou l’exécution d’une obligation. Le terme « bien meuble » quant à lui vise pratiquement tous les types de biens meubles : acte mobilier, titre, objet (y compris le matériel et le stock), effet, bien immatériel, argent et bien de placement, et accessoires fixes. Généralement, le créancier rend sa sûreté opposable en enregistrant un état de financement au registre provincial.

Dans les provinces et territoires ayant une LSM, la plupart des prêteurs canadiens ont recours à un contrat de sûreté générale visant l’ensemble des biens meubles existants et ultérieurement acquis du débiteur. Un tel contrat ne vise généralement pas les biens immeubles, qui sont plutôt grevés au moyen d’une hypothèque immobilière distincte. Pour constituer une sûreté grevant à la fois des biens meubles et immeubles, le créancier peut utiliser une débenture, qui combine les deux dans un même document. Il est aussi possible de conclure des contrats de sûreté visant des biens meubles en particulier, comme le stock, le matériel ou les comptes client.

ii.          Le Québec : une province sans LSM

Le Québec est la seule province de droit civil au Canada. Il dispose d’un code civil d’inspiration européenne qui codifie ses principes de droit généraux. Une hypothèque, le type de sûreté le plus courant, peut être consentie par un débiteur pour garantir toute obligation, et elle grève des biens meubles ou immeubles existants et acquis ultérieurement. Elle a lieu avec ou sans dépossession; celui qui la consent peut donc conserver certains droits de jouissance.

iii. Garantie prévue par la Loi sur les banques

L’article 427 de la Loi sur les banques prévoit un type de garantie particulier dont peuvent se prévaloir uniquement les banques à charte canadiennes et les filiales de banques étrangères constituées aux termes de la Loi sur les banques. Cet article leur permet de prendre auprès de certaines catégories de débiteurs une garantie portant sur des biens que le débiteur commercialise, produit ou utilise dans le cadre de ses activités. Les débiteurs visés sont notamment les fabricants, les acheteurs, expéditeurs ou marchands en gros ou au détail, les agriculteurs, les pêcheurs et les sylviculteurs.

La banque qui prend une garantie aux termes de la Loi sur les banques doit l’enregistrer auprès de l’agent de la Banque du Canada dans la province où se situe le principal établissement du débiteur. Avant que la garantie soit donnée, la banque doit remettre un préavis sous la forme prévue par la loi pour signaler son intention. Une fois ce préavis déposé, la garantie prise aux termes de l’article 427 produit ses effets partout au Canada. Les emprunteurs peuvent céder les droits et pouvoirs qui leur sont conférés par la garantie donnée en vertu de l’article 427 seulement pour certains types de biens.

L’un des avantages de la garantie de la Loi sur les banques est le transfert du titre à la banque, qui permet à cette dernière de passer avant certaines créances qui auraient autrement été prioritaires, comme celle du locateur pour loyer impayé. Aucune disposition ne prévoit expressément la priorité relative de sûretés concurrentes prises en vertu de la Loi sur les banques et de la LSM.

b.          Points en vrac sur les sûretés au Canada

i.  Sûreté sur une dette due par le gouvernement

Au Canada, les prêteurs sur actif excluent souvent les créances gouvernementales de leur base d’emprunt, principalement parce que la législation fédérale (et des lois provinciales de même nature) prévoit que les dettes du gouvernement (fédéral ou provincial, selon le cas) peuvent uniquement faire l’objet d’une cession absolue, et non d’une sûreté, moyennant la remise d’un avis au gouvernement dont celui-ci doit accuser réception. Dans les opérations de prêt impliquant d’importantes créances gouvernementales, il est possible, bien que la solution ne soit pas idéale, de constituer une sûreté indirecte sur celles-ci.

ii.  Sûreté sur un compte de dépôt 

Les LSM permettent au prêteur de prendre une sûreté sur un compte de dépôt qui est traité comme une dette que le dépositaire doit au titulaire débiteur. Par conséquent, au Canada, les prêteurs prennent souvent une sûreté sur le solde créditeur du compte dépôt de leur débiteur. Les LSM précisent qu’une telle sûreté est rendue opposable par l’enregistrement d’un état financier.

iii.  Conventions de contrôle de compte

Les conventions de blocage de compte (et, parfois, les conventions d’encaissement par boîte postale) font fréquemment partie des opérations de financement transfrontalières. La plupart des banques canadiennes emploient une forme de convention de contrôle de compte (il s’agit le plus souvent d’une convention de blocage). Dans les provinces ayant une LSM, ces conventions servent à gérer la trésorerie; elles ne permettent pas aux créanciers garantis de rendre leur sûreté opposable par voie de maîtrise des comptes visés.

iv.           Nantissement d’actions

Un créancier garanti peut parfaire sa sûreté sur des actions en l’enregistrant aux termes de la LSM ou en obtenant la maîtrise des actions aux termes de la Loi de 2006 sur le transfert des valeurs mobilières (Ontario) (la « LTVM »). La plupart des provinces et des territoires ont une loi semblable à la LTVM. Une sûreté rendue opposable par maîtrise a priorité de rang par rapport à celle rendue opposable par enregistrement. En Ontario, il est pratique courante de faire les deux. La maîtrise d’actions avec certificat peut être obtenue aux termes de la LTVM en prenant possession des certificats et en obtenant une procuration aux fins du transfert ou un autre endossement. La maîtrise d’autres types de biens de placement, comme les titres inscrits en compte, peut s’obtenir par d’autres moyens, comme une entente avec un intermédiaire en valeurs mobilières.

v.          Avis juridiques

Généralement, les prêteurs canadiens se fient à l’avis juridique de l’avocat du débiteur quant à la force exécutoire du prêt et des documents connexes.

Au Canada, les prêteurs qui prennent une sûreté sur un bien immobilier ont le choix de se fier à une assurance titres ou à une opinion sur le titre formulée par un conseiller juridique. Une telle opinion déclare que le débiteur a un titre valable et marchand sur le bien grevé, sous réserve des charges désignées. Elle peut être formulée par le conseiller du débiteur ou par celui du prêteur.

vi.           Responsabilité environnementale

Les prêteurs garantis s’exposent à trois grands risques découlant des lois fédérales et provinciales sur la protection de l’environnement. Premièrement, la stabilité financière du débiteur peut être mise en péril par ses responsabilités environnementales. Deuxièmement, ces mêmes responsabilités peuvent déprécier la valeur de la sûreté. Troisièmement, le prêteur peut lui-même devoir assumer des responsabilités environnementales, par exemple s’il participe aux activités quotidiennes ou à la gestion financière de l’entreprise polluante ou exerce un contrôle sur celles-ci (avant ou après la nomination d’un séquestre) ou s’il devient propriétaire d’un site contaminé par saisie ou un autre moyen similaire.

vii.           Taux d’intérêt

1.          Loi sur l’intérêt (Canada)

Selon la Loi sur l’intérêt (Canada), une entente peut stipuler n’importe quel taux d’intérêt. Il doit toutefois obligatoirement y avoir un taux d’intérêt annuel ou, s’il est donné pour une période inférieure à un an, une mention expresse du taux annuel équivalent. En l’absence de taux annuel ou d’équivalence en taux annuel, le taux est de 5 % par an. Par ailleurs, dans les ententes garanties par une hypothèque sur un bien immeuble, il est interdit d’exiger un taux d’intérêt plus élevé pour les arrérages.

2.           Taux d’intérêt criminel

L’article 347 du Code criminel (Canada) dispose que la personne qui reçoit de l’intérêt à un taux effectif de plus de 60 % par an commet une infraction criminelle. Le Code criminel donne une définition large au terme « intérêt », qui englobe les intérêts, les frais, les commissions et les autres charges et dépenses similaires que l’emprunteur paie en lien avec un prêt. La jurisprudence sur l’article 347 découle presque exclusivement d’instances civiles, et non criminelles, où l’emprunteur tente d’éviter de rembourser son prêt en alléguant que le contrat est illégal. Les tribunaux n’ont pas indiqué clairement quelles sont les dispositions du contrat qui demeurent en vigueur, s’il en est, lorsqu’un contrat fixe un taux d’intérêt criminel.

viii.           Cautionnements d’entreprise

Le droit des affaires canadien permet à une société de fournir une aide financière, par voie de cautionnement ou autre, à toute personne, pour quelque motif que ce soit. Dans certaines provinces, cette aide financière doit être déclarée aux actionnaires, mais le manquement à cette obligation n’a aucun effet sur la validité de l’opération sous-jacente. Cependant, certaines provinces de l’Atlantique et deux territoires interdisent d’aider financièrement des membres d’un groupe intersociétés, sous réserve de certaines exceptions, si des motifs raisonnables laissent penser que la société sera incapable de répondre aux critères de solvabilité après avoir offert l’aide. Dans d’autres cas, l’octroi d’un cautionnement qui va à l’encontre des intérêts des créanciers ou des actionnaires minoritaires pourrait être contesté aux termes des dispositions sur l’abus de la législation canadienne en droit des affaires.

ix.           Réalisation de la sûreté

Avant de réaliser sa sûreté, le prêteur doit demander au débiteur de rembourser le prêt et lui donner suffisamment de temps pour le faire. Il est tenu à ces obligations même si le débiteur a renoncé à ces droits dans les documents du prêt et de la sûreté. Le prêteur (et tout séquestre qu’il peut nommer) doit agir de bonne foi et d’une manière raisonnable sur le plan commercial lorsqu’il vend les biens donnés en garantie ou en dispose autrement. Il doit par ailleurs donner un préavis de son intention de réaliser la sûreté. Si le prêteur manque à ces obligations à tout moment pendant le processus de réalisation, il pourrait être tenu de verser des dommages-intérêts au débiteur ou à d’autres créanciers.

x.          Ordre de priorité

1. Privilèges super prioritaires

Au Canada, certaines créances découlant de la loi peuvent avoir préséance, ou priorité de rang, sur celles de créanciers garantis. Elles interviennent surtout lorsque le débiteur a l’obligation de remettre des sommes recueillies ou retenues pour le compte du gouvernement (ex. : retenues à la source pour l’impôt sur le revenu des employés, cotisations à un régime de retraite et à l’assurance-emploi, taxes fédérales sur les produits et services et taxes de vente provinciales non remises), ou lorsqu’il est tenu à des obligations directement envers le gouvernement (ex. : impôt municipal et cotisations au titre de l’indemnisation des accidents du travail). L’ordre de priorité entre les créances légales et garanties est chamboulé, et même parfois inversé, en cas de faillite du débiteur. Les prêteurs américains devraient consulter des avocats canadiens pour comprendre les risques associés aux privilèges super prioritaires et savoir quels renseignements devraient être exigés des emprunteurs dans les documents de prêt. Voir également la section ci-après du guide sur le privilège relatif aux cotisations à un régime de retraite.

2.  Privilèges subordonnés

Au Canada, les prêteurs garantis de rang supérieur permettent souvent à d’autres prêteurs d’avoir une sûreté de rang inférieur sur le même bien. L’existence d’un tel privilège subordonné a de quoi compliquer les choses. D’abord, si le prêteur de rang prioritaire souhaite réaliser sa sûreté, il doit le faire d’une manière raisonnable sur le plan commercial. La présence d’un prêteur de rang inférieur ne change rien à cette obligation, mais dans les faits, cet autre créancier (à moins qu’il ne soit pas garanti) est plus susceptible de contester les actions du prêteur prioritaire. Le prêteur de rang inférieur jouit aussi de certains droits qui peuvent influer sur la réalisation (ex. : avis de disposition du bien grevé).

Enfin, un prêteur de rang inférieur peut compliquer la réorganisation de la dette du débiteur. Par exemple, les lois sur la réorganisation d’entreprise répartissent les créanciers en catégories. En règle générale, le prêteur garanti a l’avantage d’être dans une catégorie à part, ce qui lui procure un plein contrôle. Dans la plupart des réorganisations, un prêteur de rang supérieur et un prêteur de rang inférieur sont dans deux catégories différentes. Cela dit, dans certaines circonstances, ils sont placés dans la même catégorie. De plus, un prêteur de rang inférieur peut demander au tribunal de lever une suspension de procédures accordée (à la demande du débiteur ou du prêteur) en vertu de la législation sur la réorganisation, ce qui met fin à la tentative de réorganisation.

IV.           Insolvabilité et restructuration

a. Cadre législatif 

Les deux principales lois canadiennes en matière d’insolvabilité sont la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la « LFI ») et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC »). Il est possible de procéder à une réorganisation semblable à celle prévue au chapitre 11 en passant par la LFI (et son régime de proposition) ou la LACC. De même, des liquidations semblables aux instances du chapitre 7 peuvent être réalisées en vertu de la LFI ou de certaines lois provinciales.

Au Canada, une réorganisation peut être réalisée sous le régime de la LFI ou, dans le cas d’une société par actions ou d’une fiducie de revenu ayant une dette d’au moins 5 millions de dollars canadiens, sous le régime de la LACC.

Chacune de ces lois prévoit que la réclamation de créances peut être suspendue. Les tribunaux canadiens ont aussi le pouvoir de coordonner les instances locales et étrangères impliquant le débiteur.

i.          Loi sur la faillite et l’insolvabilité

Le processus de restructuration s’amorce lorsque le débiteur présente une proposition définitive visant à transiger sur les réclamations de ses créanciers ou un avis de son intention de faire une proposition. Une fois la proposition ou l’avis déposé, toutes les procédures visant le débiteur sont automatiquement suspendues. Les créanciers garantis ne peuvent plus réaliser leur sûreté, sauf s’ils ont donné avis de leur intention de le faire plus de dix jours avant le dépôt de la proposition ou de l’avis du débiteur. Sauf en cas de prorogation, le débiteur doit déposer sa proposition définitive dans les 30 jours qui suivent le dépôt de son avis d’intention, sans quoi il est automatiquement réputé failli. Toutefois, les débiteurs obtiennent couramment une prorogation auprès du tribunal pour poursuivre la liquidation ou la restructuration de leur entreprise.

Une proposition faite en vertu de la LFI peut être présentée à tous les créanciers ensemble, ou aux créanciers garantis et non garantis séparés en catégories. Les créanciers qui ont un « intérêt commun » font partie de la même catégorie. La proposition ne doit pas obligatoirement inclure tous les créanciers garantis, mais ceux qui en sont exclus ne sont pas liés par ses modalités et peuvent faire valoir leur réclamation pendant le processus de restructuration.

La proposition doit être adoptée par une double majorité des créanciers (la moitié en nombre et les deux tiers en valeur) et approuvée par le tribunal. Une fois approuvée, elle lie immédiatement a) toutes les catégories de créanciers non garantis ayant des réclamations prouvables nées avant la date du dépôt de la proposition, ainsi que b) les créanciers garantis faisant partie des catégories qui ont voté en faveur de la proposition. Si la proposition est rejetée par les créanciers ou par le tribunal, le débiteur est automatiquement réputé failli.

Une proposition faite en vertu de la LFI nécessite l’approbation des actionnaires, mais la vente de la totalité ou de la quasi-totalité de l’actif du débiteur pendant le processus de proposition nécessite seulement celle du tribunal. Il n’est pas rare que les entreprises débitrices cherchent à obtenir un refinancement ou à vendre leurs actifs plutôt que de mener à terme leur proposition.

ii.          Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies

Sous réserve de certaines exceptions, la protection de la LACC est offerte à une société canadienne insolvable qui a des actifs au Canada ou y exerce des activités si le montant total des réclamations contre elle est supérieur à 5 millions de dollars canadiens. Les dettes des sociétés du même groupe peuvent être incluses dans le calcul de ce montant.

Pour enclencher les procédures de la LACC, le débiteur doit présenter une demande au tribunal visant l’obtention d’une ordonnance l’autorisant à présenter une proposition de réorganisation et accordant une suspension des procédures. La suspension initiale est d’une durée maximale de 10 jours. Elle n’est pas automatique, mais la plupart du temps le tribunal se sert de son pouvoir discrétionnaire pour accorder les 10 jours. Si le tribunal ordonne la suspension, il nomme un contrôleur qui supervisera les affaires financières ou autres de l’entreprise débitrice.

Dans certaines circonstances, un actionnaire ou un prêteur peut enclencher les procédures de la LACC, mais la situation est plutôt rare.

Comme la LFI, la LACC permet de répartir les créanciers en différentes catégories. Les créanciers doivent se réunir et voter sur la réorganisation proposée par le débiteur, laquelle doit être acceptée par la même double majorité de créanciers que celle qui est prévue dans la LFI. Comme la LFI, la LACC prévoit la possibilité de liquider l’entreprise avec l’approbation du tribunal.

La restructuration prévue dans la LACC est généralement plus coûteuse et chronophage que celle de la LFI, mais les grandes sociétés, dont la réorganisation, les activités et les exigences réglementaires sont plus complexes, tendent à la préférer, car elle offre plus de flexibilité.

b.          Points en vrac sur la faillite

La procédure de faillite prévue par la LFI ressemble à celle du chapitre 7. Au Canada, un débiteur devient failli d’une des trois façons suivantes :

  • en déposant une proposition de réorganisation refusée par les créanciers, ou acceptée par les créanciers mais rejetée par le tribunal (voir ci-dessus);
  • en faisant une cession de biens au profit des créanciers en général (faillite volontaire);
  • en faisant l’objet d’une requête de mise en faillite présentée par un ou plusieurs créanciers (faillite involontaire).

i.          Faillite volontaire

Un débiteur peut faire une cession en faillite s’il est « insolvable ». Selon la LFI, un débiteur est insolvable dans chacune des situations suivantes :

  • il est incapable de faire honneur à ses obligations au fur et à mesure de leur échéance;
  • il a cessé d’acquitter ses obligations courantes dans le cours ordinaire des affaires au fur et à mesure de leur échéance;
  • la valeur de ses biens n’est pas suffisante pour régler ses dettes.

ii.          Faillite involontaire

Un créancier peut demander une ordonnance de faillite visant un débiteur qui doit au moins 1 000 dollars canadiens et qui a commis un « acte de faillite » (au sens de la LFI) dans les six mois précédant la demande.

Souvent, la demande est présentée parce que le débiteur a cessé d’acquitter ses obligations à leur échéance. Si le débiteur conteste la demande, l’affaire est déférée à un juge qui tiendra une audience. Si les faits allégués dans la demande sont prouvés, le tribunal délivre une ordonnance de faillite déclarant que le débiteur est failli.

Le titulaire d’une créance partiellement garantie peut demander une ordonnance de faillite pour d’autres raisons stratégiques. Par exemple, dans certaines circonstances, l’ordre de priorité entre un créancier garanti et le titulaire de certaines créances prévues par la loi (comme nous en avons discuté ci-dessus) peut être « inversé » si le débiteur fait faillite.

iii.          Effets de la faillite

Une faillite entraîne la suspension des réclamations de tous les créanciers, sauf les créanciers garantis. Un syndic de faillite est nommé et tous les biens du débiteur lui sont dévolus. Les biens sont vendus et le produit de la vente est distribué parmi les créanciers, selon l’ordre de priorité déterminé aux termes de la LFI. De façon générale toutefois, les créanciers garantis ne sont pas touchés par ces procédures et peuvent exercer leurs droits sur les biens grevés, qu’ils peuvent autoriser le syndic à liquider.

iv.           Enquêtes et transactions révisables

La procédure de faillite est parfois une façon pour le créancier de mener une enquête sur les affaires du débiteur. La loi accorde au syndic le droit de prendre possession des livres et registres du failli, d’interroger sous serment les dirigeants du failli ou toute autre personne dont il a des motifs raisonnables de soupçonner qu’elle a connaissance des affaires de ce dernier, et d’ordonner à cette personne de produire tout document en sa possession ou sous sa responsabilité se rapportant au failli, aux affaires du failli ou aux biens du failli. Ces pouvoirs prennent toute leur importance dans le cas où le débiteur est soupçonné d’avoir tenté de camoufler des biens ou leur transfert.

La procédure de faillite permet aussi au syndic de tenter d’annuler des opérations conclues pendant une période déterminée avant la faillite, comme un paiement préférentiel ou une opération réalisée pour faire échec aux réclamations de créanciers.

v.          Financement du débiteur-exploitant

La LFI et la LACC habilitent les tribunaux à approuver du financement de débiteur-exploitant, sous réserve de certaines directives. En vertu de ces deux lois, le tribunal peut accorder une nouvelle sûreté sur les biens du débiteur au prêteur qui accorde ce type de financement. Elle aura préséance sur les sûretés existantes et sera d’un montant maximal approuvé par le tribunal.

vi.           Mises sous séquestre

Selon la LFI et les lois provinciales, un créancier garanti peut demander au tribunal de nommer un séquestre qui prendra possession de la totalité, ou de la quasi-totalité, des stocks, comptes à recevoir et autres biens de la personne insolvable. Le séquestre peut aussi être autorisé à exploiter l’entreprise du débiteur si on l’estime nécessaire ou indiqué. La nomination d’un séquestre est une mesure d’équité laissée à l’appréciation du tribunal.

Une fois nommé dans une ordonnance, le séquestre agit à titre d’officier de justice et il est redevable envers tous les actionnaires. Il n’est pas un mandataire du créancier garanti, qui ne lui donne pas d’instructions.

Le créancier garanti ne peut pas demander la nomination d’un séquestre ou d’un séquestre-gérant s’il n’a pas d’abord remis au débiteur un avis raisonnable et, le cas échéant, l’avis de dix jours exigé par la LFI.

La nomination d’un séquestre par le tribunal est par ailleurs une option intéressante lorsque le débiteur ou un tiers empêche le créancier garanti ou le séquestre nommé privément d’accéder au bien grevé. Le séquestre judiciaire est aussi utile lorsque le créancier garanti souhaite faire approuver la disposition du bien grevé par le tribunal, qui peut établir une procédure de vente et approuver les modalités de vente.

Les plus grands désavantages de la mise sous séquestre judiciaire sont les coûts et la perte de contrôle pour le créancier garanti. Les coûts sont généralement plutôt élevés, car le créancier garanti doit introduire une instance de nomination qui pourra être contestée par le débiteur ou d’autres intéressés. De plus, le séquestre judiciaire est généralement tenu de rendre des comptes au tribunal et d’obtenir son approbation avant de prendre des mesures importantes, comme la vente de la totalité ou de la quasi-totalité des biens du débiteur.

vii.           Reprise de possession par les fournisseurs

Le prêteur qui finance des marchandises remises au débiteur par un fournisseur encourt un risque si le débiteur devient failli ou insolvable dans les 30 jours suivant la réception des marchandises. Aux termes de la LFI, les fournisseurs impayés peuvent reprendre possession des marchandises livrées dans les 30 jours précédant la date de la faillite ou de la mise sous séquestre s’ils en font la demande dans les 15 jours qui suivent cette date. Cette règle ne s’applique toutefois pas si, entre autres, l’acheteur a modifié ou revendu les marchandises, ou si elles ne peuvent pas être identifiées.

viii.           Protection des salariés

Selon la Loi sur le Programme de protection des salariés, l’employé dont l’employeur fait faillite ou est mis sous séquestre a le droit à des prestations du programme fédéral de protection des salariés pour le salaire impayé gagné dans les six mois qui précédent immédiatement la faillite ou la première journée de la mise sous séquestre, le tout pouvant atteindre jusqu’à sept fois le maximum de la rémunération hebdomadaire assurable au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (8 278,83 $ CA en 2023).

De la même façon, la LFI prévoit qu’un employé dont l’employeur est failli ou sous séquestre a une sûreté prioritaire sur les « actifs à court terme » en garantie des salaires et des vacances impayés (mais pas l’indemnité de départ ou de cessation) relatifs à la période de six mois précédant la faillite ou la mise sous séquestre, jusqu’à concurrence de 2 000 $ CA par employé (plus 1 000 $ CA pour les dépenses des « voyageurs de commerce »). Cette sûreté a priorité sur toutes les autres réclamations, y compris les créances garanties, sauf les droits des fournisseurs impayés.

ix.           Privilège sur les cotisations à un régime de retraite

La LFI accorde aussi une sûreté prioritaire dans les cas de faillite et de mise sous séquestre à l’égard des cotisations pour service courant non versées au régime de retraite. Cette sûreté prend rang tout juste derrière celle se rapportant à la protection des salariés. Elle ne porte pas uniquement sur les actifs à court terme, mais sur l’ensemble des actifs, et elle n’est pas assujettie à un montant limite.

La sûreté relative aux régimes de retraite garantit ce qui suit :

  1. Les sommes que l’employeur a déduites du salaire des employés à titre de cotisations qui n’ont pas été versées au régime avant la faillite ou la mise sous séquestre;
  2. Les sommes que l’employeur est tenu de verser au régime pour les « coûts normaux ».

À noter que la priorité ne s’applique pas au passif non capitalisé à la liquidation d’un régime de retraite à prestations déterminées. La priorité ne devrait pas non plus viser les paiements de rattrapage ou spéciaux que l’employeur doit déjà faire en raison d’un déficit de solvabilité.

Une loi récemment adoptée a élargi la portée de la sûreté relative aux régimes de retraite au Canada. Le projet de loi C-228, Loi sur la protection des pensions, a été sanctionné le 27 avril 2023. Il modifie la LFI et la LACC de façon à ce que, lorsqu’un employeur introduit une procédure aux termes de la LFI ou de la LACC, toutes ses obligations au titre des régimes de retraite à prestations déterminées (y compris tous les paiements spéciaux impayés et les sommes requises pour la liquidation d’un passif non capitalisé ou d’un déficit de solvabilité) seront traitées en priorité et prendront rang devant la sûreté d’un prêteur. Ce traitement prioritaire entrera en vigueur le 27 avril 2027. Le nouveau mécanisme illustre à quel point il est important que les emprunteurs déclarent et surveillent étroitement leurs cotisations au titre des régimes de retraite, de même que les autres obligations qu’ils ont envers leurs employés, comme l’indemnité de vacances.

V.          Conclusion

Notre guide résume les particularités et les aspects juridiques des opérations de prêt garanti au Canada, des notions de base essentielles pour tout prêteur des États-Unis qui songe à accorder un financement transfrontalier.

N’hésitez pas à communiquer avec nous si vous avez des questions ou si vous avez besoin de notre aide pour réaliser des opérations de financement transfrontalières.

par Maria Sagan, Rachael Girolametto-Prosen et Kourtney Rylands

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2023

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