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Le régime des dessins industriels au Canada

20 novembre 2023 Bulletin sur la propriété intellectuelle Lecture de 5 min

Les entrepreneurs et les propriétaires qui souhaitent protéger leurs droits de propriété intellectuelle connaissent sans doute assez bien les régimes des brevets, des droits d’auteur et des marques de commerce, qui visent à protéger les inventions, l’expression des idées et l’indication des sources, respectivement. Il existe cependant une quatrième catégorie de protection, à savoir la protection des dessins industriels.

La Loi sur les dessins industriels[1] (la « LDI » ou la « Loi ») est la loi d’application générale qui régit la protection des dessins industriels au Canada. Le terme « dessin » y est défini comme suit : « [c]aractéristiques ou combinaison de caractéristiques visuelles d’un objet fini, en ce qui touche la configuration, le motif ou les éléments décoratifs ». Le terme « objet » signifie « [t]out ce qui est réalisé à la main ou à l’aide d’un outil ou d’une machine ». Ainsi, la LDI porte essentiellement sur les caractéristiques esthétiques des produits.

En règle générale, un dessin peut être enregistré si les conditions suivantes sont remplies : a) la demande a été déposée; b) le dessin est nouveau; c) il a été créé par le demandeur ou son prédécesseur en titre; d) il comprend des caractéristiques autres que celles résultant uniquement de la fonction utilitaire de l’objet fini en cause; e) il n’est pas contraire à la morale ou à l’ordre public[2].

Lorsqu’un dessin industriel est enregistré, le droit exclusif conféré à son propriétaire se termine à la date d’expiration de la période de dix ans suivant la date d’enregistrement du dessin ou, si elle est postérieure, à la date d’expiration de la période de quinze ans suivant la date de dépôt de cette demande[3]. L’action pour violation d’un droit exclusif peut être intentée devant tout tribunal compétent soit par le propriétaire, soit par le titulaire d’une autorisation exclusive[4].

Le critère d’une violation de droit exclusif

Au Canada, les tribunaux appliquent un critère à quatre volets pour déterminer si une violation de droit exclusif a été commise. Défini pour la première fois dans Bodum USA Inc. c Trudeau Corporation (1889) Inc.[5] (« Bodum ») et récemment confirmé par la Cour fédérale dans une décision de 2022, Crocs Canada, Inc. v. Double Diamond Distribution Ltd[6] (« Crocs »), le critère comprend les étapes suivantes :

  1. examiner les antériorités et déterminer dans quelle mesure le dessin enregistré se distingue de tout autre dessin industriel enregistré antérieurement;
  2. évaluer le dessin afin de déterminer s’il présente une fonction utilitaire, ou une méthode ou un principe de réalisation;
  3. examiner le dessin en soi afin de déterminer l’étendue de la protection en se fondant sur les schémas et la description jointe à l’enregistrement;
  4. effectuer une analyse comparative du dessin enregistré et de l’objet présumé contrefait, en tenant compte des trois premiers facteurs.

Étape 1 : Examen des antériorités

En matière de dessins industriels, les « antériorités » sont les dessins qui ont vu le jour avant le dessin dont il est question. Pour être enregistrable, un dessin industriel doit se démarquer substantiellement de l’art antérieur[7]. Plus l’antériorité et le dessin se ressemblent sur le plan visuel, plus la protection accordée au dessin sera réduite; a contrario, moins l’antériorité et le dessin se ressemblent, plus la protection accordée au dessin sera étendue [8]. Ce principe peut être déterminant, car les actions en violation de droit exclusif font souvent l’objet de demandes reconventionnelles visant à faire invalider le dessin industriel enregistré au motif de l’antériorité.

Étape 2 : Évaluation de la fonction utilitaire

Un dessin peut être enregistré s’« il comprend des caractéristiques autres que celles résultant uniquement de la fonction utilitaire de l’objet fini en cause »[9]. Autrement dit, une protection peut être accordée si le dessin possède une caractéristique esthétique ou visuelle distinctive. Comme le précise la Cour dans Bodum, un dessin industriel ne confère à son propriétaire aucun monopole sur les éléments fonctionnels d’un objet[10]. Autrement dit, si une caractéristique d’un dessin existe seulement à des fins fonctionnelles ou utilitaires, elle ne sera pas admissible à la protection de la LDI[11]. Ce principe illustre parfaitement ce qui distingue le régime des dessins industriels, qui protège les caractéristiques esthétiques des produits, du régime des brevets, qui protège la fonctionnalité des produits[12].

Étape 3 : Étendue de la protection

L’étendue de la protection accordée à un dessin enregistré est un facteur déterminant dans l’analyse d’une violation présumée. Autrement dit, si l’enregistrement porte sur l’ensemble du produit, plutôt que sur une composante du produit (par exemple, l’ensemble d’un casque de motocyclette, plutôt que la forme de la visière d’un casque de motocyclette), l’article présumé contrefait doit être très similaire à l’ensemble de l’article enregistré pour qu’il y ait bel et bien violation de droit exclusif. Par contre, si le propriétaire d’un dessin enregistré ne protège qu’une seule caractéristique de son dessin, l’enregistrement doit expressément limiter l’étendue de la protection à cette caractéristique[13]. C’est la raison pour laquelle il est si important de définir soigneusement la portée d’une demande d’enregistrement de dessin industriel.

Étape 4 : Analyse comparative

La dernière étape consiste à effectuer une comparaison des dessins en question en tenant compte des trois premiers facteurs. Les tribunaux canadiens réalisent cet examen en adoptant le point de vue du « consommateur averti », c’est-à-dire un consommateur qui connaît bien le marché concerné[14]. Le produit présumé contrefait doit être substantiellement différent du produit enregistré, du point de vue du consommateur averti, pour éviter toute conclusion de violation de droit exclusif.

La décision Crocs

Dans Crocs, la Cour fédérale du Canada a confirmé que les enregistrements de dessins industriels demeuraient un moyen viable de protéger des dessins de produit contre les imitations. Dans cette affaire, la Cour a tranché en faveur de Crocs et conclu que la défenderesse avait contrefait le dessin enregistré de Crocs. La Cour a adjugé à Crocs une restitution des profits de la défenderesse d’un montant de 649 779,17 $ ainsi que l’intérêt avant jugement d’un montant de 44 321,69 $ et l’intérêt après jugement au taux annuel de 5 %[15].

Le 8 février 2023, la Cour fédérale du Canada a publié une décision faisant suite à la décision Crocs et déterminant le montant des dépens[16]. La demanderesse réclamait 106 299,13 $ en débours et 158 373 $ à titre de montant forfaitaire pour ses dépens (30 % des frais recouvrables revendiqués)[17]. Après avoir entendu les exposés et examiné la preuve déposée, et dans le but de [traduction] « concilier la nécessité d’indemniser la partie ayant obtenu gain de cause et le souci de ne pas imposer un fardeau trop lourd à l’autre partie »[18], la Cour a accordé une légère réduction du montant forfaitaire des dépens pour le faire passer à 25 % des dépenses raisonnables; elle a également réduit le montant des débours de 5 415,54 $, portant le montant total adjugé à 232 861,15 $[19].

La décision est fondée sur des facteurs décisifs comme le comportement de la défenderesse tout au long du litige, le caractère raisonnable des frais de justice engagés et le caractère raisonnable (ou déraisonnable) de certains débours[20].

Conclusion

Le régime des dessins industriels peut offrir aux entrepreneurs et aux propriétaires un avantage concurrentiel sur leurs marchés. La jurisprudence canadienne a démontré que dans les affaires de violation de droit exclusif, le propriétaire lésé d’un dessin industriel peut se prévaloir de recours en restitution des profits et en dommages-intérêts et que le montant des réparations peut être assez élevé selon l’ampleur de la violation. Protégez votre propriété intellectuelle et soyez aux aguets.

[1] Loi sur les dessins industriels, LRC 1985, c. I-9.
[2] LDI, art. 7.
[3] LDI, art. 10b).
[4] LDI, art. 15(1)
[5] Bodum USA Inc. c Trudeau Corporation (1889) Inc., 2012 CF 1128.
[6] Crocs Canada, Inc. v. Double Diamond Distribution Ltd, 2022 CF 1443.
[7] Bodum, 96.
[8] Crocs, 105.
[9] LDI, art. 7d)
[10] Bodum, 46.
[11] Zero Spill Systems (Int’l) Inc. c Heide, 2015 CAF 115, par. 22-23.
[12] Bodum, 46.
[13] AFX Licensing Corp c HJC America, Inc, 2016 CF 435, par. 58.
[14] Crocs, 109 et 112.
[15] Crocs, 48.
[16] Crocs Canada, Inc v. Double Diamond Distribution Ltd, 2023 CF 184 (« Crocs 2»).
[17] Crocs 2, 3.
[18] Crocs 2, 12.
[19] Crocs 2, 31.
[20] Le tribunal a jugé que les frais d’experts étaient raisonnables, mais que les frais administratifs étaient déraisonnables étant donné que les parties avaient consenti à la signification électronique.

par Navaneeth Ravichandran, Anika Klassen et Pablo Tseng

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2023

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