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Réforme de la Loi sur la concurrence : le gouvernement pèse sur l’accélérateur

26 septembre 2023 Bulletin Concurrence, anti-trusts et investissements étrangers Lecture de 6 min

Le 21 septembre dernier, peu de temps après le communiqué du 14 septembre dans lequel le premier ministre signalait la nécessité d’apporter des modifications à la Loi sur la concurrence vu la flambée des prix en épicerie[1], et pendant qu’un processus d’examen de modifications potentielles suivait déjà son cours, le projet de loi C-56 a été soumis en première lecture au Parlement[2]. La deuxième lecture devrait avoir lieu dans la semaine. Le projet de loi, surnommé Loi sur le logement et l’épicerie à prix abordable, propose de modifier la Loi sur la taxe d’accise (pour le volet logement) et la Loi sur la concurrence (pour le volet épicerie). Nous avons donné un aperçu des modifications dans un bulletin publié la semaine dernière[3]. Dans le cas de la Loi sur la concurrence, elles visent à :

  1. abolir la défense fondée sur les gains en efficience pour les fusions;
  2. conférer au Bureau de la concurrence le pouvoir de réaliser des études de marché et de forcer les participants au marché à lui fournir de l’information;
  3. permettre au Bureau de la concurrence de s’opposer à des accords qui ont comme objet important de nuire à la concurrence, même si les parties ne sont pas des concurrents.

1.  Abolition de la défense fondée sur les gains en efficience 

Le projet de loi propose d’éliminer carrément cette défense applicable aux opérations de fusion. Comme nous le disions dans notre autre bulletin, le Bureau et d’autres intervenants réclamaient cette mesure depuis un bon moment. Il reste à voir si les gains d’efficience pourront servir de facteur d’analyse au Tribunal de la concurrence dans son examen de fusions, puisque l’abolition vise la défense seulement, sans parler du rôle de ces gains comme facteur prévu par la loi. (Voir l’autre bulletin pour une discussion détaillée des différents points de vue sur cette défense.)

La défense demeure à la disposition des parties à une fusion pour laquelle avis a été donné ou qui a été essentiellement complétée avant que le projet de loi C-56 reçoive la sanction royale, ce qui pourrait inciter une poignée de parties à donner l’avis ou à clore l’opération au plus vite.

2.   Nouveaux pouvoirs relatifs aux études de marché

Le Bureau voudrait pouvoir réaliser de son propre chef des études de marché, mais les modifications proposent que ce soit le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie (le « ministre ») qui ait le pouvoir de les déclencher.

Le fait de donner ce pouvoir au gouvernement soulève des questions quant à l’indépendance du Bureau. Le gouvernement se retrouve aussi avec une arme à brandir dans ses discussions sur la concurrence (entre autres) avec des participants au marché.

Le projet de loi C-56 exige que le ministre consulte le Bureau pour vérifier si l’étude de marché proposée est réalisable, notamment sur le plan des coûts. Si, après cette consultation, il détermine qu’il est dans l’intérêt du public de procéder à l’étude et ordonne au commissaire de la concurrence de la réaliser, le Bureau établira un mandat qui sera soumis au public pour commentaires, puis au ministre pour approbation finale. Après la publication du mandat par le ministre, le Bureau aura 18 mois pour réaliser l’étude et publier ses conclusions. Ce délai peut être prolongé par le ministre par tranches maximales de trois mois.

Le Bureau, qui a réalisé de nombreuses études de marché dans la dernière décennie, le plus récemment sur le secteur de l’épicerie, a fait valoir que le fait de ne pas pouvoir forcer les participants au marché à fournir de l’information nuisait à son travail. Il a milité pour l’obtention de pouvoirs officiels qui lui permettraient de recueillir des renseignements plus variés et de meilleure qualité. Selon les modifications proposées, le Bureau pourra demander, ex parte, une ordonnance judiciaire enjoignant à certains participants de lui fournir l’information dont il a besoin.

« Ex parte » signifie que le commissaire pourra demander l’ordonnance sans que la personne visée ait le droit d’être entendue ou même de recevoir un avis. Si le recours à ce type d’ordonnance est parfois justifié dans un contexte d’application de la loi, on peut douter de son bien-fondé dans le contexte d’études de marché qui auront été portées à la connaissance du public bien avant que les tribunaux soient sollicités.

Comme nous l’avons déjà mentionné ailleurs, pour autant que des règles assurant l’équité procédurale soient établies, l’idée des études de marché semble à première vue tout à fait acceptable. Cela dit, on risque de prendre en grippe des acteurs de secteurs au cœur des préoccupations politiques du moment – comme c’est le cas des épiceries ces jours-ci – qu’il y ait ou non un doute légitime à soulever en matière de concurrence. Autre risque : après une longue étude de marché, le Bureau pourrait se sentir obligé de clore le dossier avec des mesures concrètes. Il convient de souligner qu’il y a longtemps, lorsqu’elles avaient de tels pouvoirs, les autorités canadiennes en droit de la concurrence se sont parfois aventurées dans des impasses très coûteuses.

3.   Accords visant des objectifs anticoncurrentiels

Le projet de loi propose d’ajouter une nouvelle catégorie d’accords ou d’arrangements pouvant être contestés par le Bureau devant le Tribunal de la concurrence. Actuellement, l’article 90.1 de la Loi sur la concurrence permet au Tribunal, à la suite d’une demande du commissaire, de rendre une ordonnance à l’égard d’un accord ou d’un arrangement entre concurrents qui empêche ou diminue sensiblement la concurrence ou aura vraisemblablement cet effet.

Les modifications proposées élargissent la portée de la disposition pour qu’elle vise aussi les accords et arrangement entre des personnes qui ne sont pas des concurrents si un « objet important » de l’accord ou de l’arrangement (ou d’une partie de celui-ci) est d’empêcher ou de diminuer la concurrence dans un marché. Le libellé actuel ne permet pas de confirmer si le Tribunal devra toujours conclure que l’accord ou l’arrangement empêche ou diminue « sensiblement » la concurrence. Pour appliquer la nouvelle disposition, le Tribunal devra aussi interpréter la phrase « l’un des objets importants […] est d’empêcher ou de diminuer la concurrence dans un marché ».

À cet égard, notons que la loi actuelle prévoit différents critères pour déterminer si une conduite peut être remise en cause. Certains comportements sont en eux-mêmes illégaux; il n’est alors pas nécessaire de prouver des effets anticoncurrentiels. Dans d’autres cas, il faut prouver que la conduite a pour effet de « diminuer sensiblement la concurrence », dans d’autres encore celui « d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence ». Le Tribunal doit aussi interdire une conduite ayant pour effet de « nuire » à la concurrence. Ces critères ont chacun leur propre signification. Le projet de loi C-56 semble ajouter un critère, soit celui de l’« objet important » d’empêcher ou de diminuer la concurrence, qui est probablement inspiré de décisions antérieures. La Cour d’appel fédérale a déterminé que, selon les dispositions sur l’« abus de position dominante », pour être anticoncurrentiel, un agissement devait avoir un « effet négatif intentionnel sur un concurrent, qui doit être abusif, ou viser une exclusion ou une mise au pas ». De son côté, le Tribunal a conclu qu’un agissement motivé par une justification commerciale légitime ne pouvait pas être anticoncurrentiel, puisque l’objectif sous-jacent ne l’est pas[4].

On peut comprendre des commentaires du premier ministre et de l’étude de marché du Bureau de la concurrence sur les produits d’épicerie que cette modification vise à donner au Bureau un outil lui permettant de s’opposer aux clauses restrictives prévues dans des baux d’épicerie qui, selon le Bureau, empêchent les petits joueurs de faire concurrence aux grandes chaînes. Cela dit, les clauses du genre sont loin d’être le propre du secteur de l’alimentation. Il reste à voir jusqu’où le Bureau pourra étendre son application des nouvelles dispositions.

Autres remarques

Notons aussi que le NPD a déposé son propre projet de loi d’initiative parlementaire, dans lequel il propose des modifications plus radicales à la Loi sur la concurrence, dont l’établissement de seuils de parts de marché pour la détermination du caractère anticoncurrentiel d’une fusion, la refonte du cadre d’analyse de la position dominante, l’imposition de sanctions pour les hausses de prix importantes même en l’absence d’accord ou de tout autre comportement illicite et le retrait de la possibilité d’obtenir le paiement de frais de la part du gouvernement dans un litige devant le Tribunal de la concurrence, même si ce dernier perd sa cause et que sa conduite est jugée déraisonnable. Pour le moment, on ne sait pas si le gouvernement envisage d’adopter ces propositions.

Conclusion

Comme nous l’avons indiqué en introduction, un processus est en cours pour la réforme de la Loi sur la concurrence. Étant donné que les modifications mentionnées dans le présent bulletin ont été présentées comme des mesures pour palier à la hausse du coût de la vie et comme une « première » vague de modifications que le gouvernement souhaite apporter à la Loi sur la concurrence, d’autres devraient suivre dans les prochains mois. Le groupe Concurrence de McMillan vous tiendra au courant de l’adoption ou non des modifications proposées.

[1] Dans son communiqué du 14 septembre, le premier ministre aborde d’autres enjeux liés au coût de la vie au Canada, principalement en proposant de nouvelles mesures pour contrer la pénurie de logements abordables.
[2] Loi modifiant la Loi sur la taxe d’accise et la Loi sur la concurrence, projet de loi C-56, (dépôt en 1relecture – 21 septembre 2023).
[3] Le gouvernement venait tout juste d’apporter des modifications importantes à la Loi sur la concurrence, à la mi-2022. Voir notre bulletin à ce sujet . Ces modifications visaient « à combler des lacunes de la Loi qui étaient devenues apparentes », et les modifications proposées dans le projet de loi C-56 représentent selon nous une première vague de modifications supplémentaires apportées dans la foulée de la consultation que le gouvernement a récemment menée au sujet de la loi.
[4] Pour conclure à la présence d’une justification commerciale légitime, le Tribunal doit être d’avis que la société prétendument coupable d’un agissement anticoncurrentiel avait des motifs d’efficience ou de concurrence crédibles, non liés à une fin anticoncurrentielle. Voir Commissioner of Competition Vancouver Airport Authority, 2019 Comp Trib 6.

par le groupe Concurrence de McMillan

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2023

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