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Projet de loi 29, une perspective automobile – mise en place potentielle d’un droit à la réparation, d’une interdiction de l’obsolescence programmée et d’une loi sur les « citrons »

13 juin 2023 Bulletin Automobile Lecture de 7 min

Le Québec est reconnu pour la générosité du régime de sa Loi sur la protection du consommateur[1] (la « LPC »), y compris certaines garanties légales de durabilité et d’utilité qui ne peuvent être mises de côté par les entreprises faisant affaire dans la province[2].  Ce régime robuste pourrait se voir renforcé encore davantage avec le dépôt du projet de loi 29 – Loi protégeant les consommateurs contre l’obsolescence programmée et favorisant la durabilité, la réparation et l’entretien des biens[3]

Ce n’est pas la première fois qu’une législation enchâssant ces concepts est proposée[4], mais les tentatives précédentes étaient l’initiative de députés individuels alors que la législation actuelle émane du gouvernement, ce qui pourrait lui donner un élan plus important, celle-ci étant notamment basée sur des concepts populaires de durabilité, de protection de l’environnement et de droits des consommateurs. Le travail sur le projet de loi devrait reprendre lorsque l’Assemblée nationale se réunira à nouveau à l’automne 2023.

Dans le présent bulletin, nous désignons le nouveau projet de loi par l’expression « Projet de loi 29 », et la LPC, tel qu’elle serait amendée, par l’expression « LPC amendée ». Nous y examinons les impacts et les mécanismes du droit à la réparation que ce dernier crée sur tous les produits vendus au Québec, ainsi que certaines règles qui s’appliqueront spécifiquement aux véhicules automobiles et à leurs fabricants. Enfin, nous examinons les mises à jour (et le renforcement) des sanctions applicables.

Exigences générales

Le cœur du Projet de loi 29 consiste à :

  • Interdire l’obsolescence programmée d’un bien, c’est-à-dire toute technique visant à réduire la durée de vie normale d’un produit, et la vente de tels biens[5]; et
  • Donner aux consommateurs le droit de réparer leurs biens, notamment en interdisant l’utilisation de techniques qui rendraient plus difficile la réparation d’un produit par le client[6] .

Par exemple, la LPC exigeait depuis longtemps que les entreprises maintiennent une réserve de pièces de rechange et des services de réparation pendant une période raisonnable après une vente, à moins que cette indisponibilité ne soit annoncée par écrit.[7] Maintenant, en vertu de la LPC amendée, il serait possible de préciser, par règlement, certains types de pièces ou de services qui ne pourront pas être exclus[8]. Ces règlements exigeront également que le commerçant et/ou le fabricant divulgue certaines informations relatives à la disponibilité des pièces de rechange et des services de réparation, ainsi que les informations nécessaires à l’exécution de cet entretien[9]. Le Projet de loi 29 précise en outre qu’il doit être possible d’installer les pièces de rechange à l’aide d’outils courants et sans endommager le produit[10]. En outre, les réparations doivent être possibles à un prix raisonnable, qui n’aurait pas pour effet de décourager le client d’y recourir[11].

Le Projet de loi 29 introduit également un nouveau régime punitif pour les commerçants et les entreprises qui n’auront pas maintenu un inventaire de pièces ou des services de réparation disponibles. Le consommateur pourra alors demander au fabricant ou au vendeur de réparer lui-même le produit[12]. Si le commerçant ou le fabricant ne répond pas à la demande du client dans un délai de 10 jours[13] ou s’il accepte d’effectuer les réparations, mais ne respecte pas le délai convenu[14], il sera contraint de remplacer ou de rembourser l’intégralité du produit[15]. Le client aura également la possibilité d’accepter ou de refuser le projet de réparation proposé par le marchand. Si le consommateur refuse, il aura la possibilité de faire réparer le produit par une tierce personne, aux frais du vendeur ou du fabricant[16].

Exigences spécifiques aux automobile

En plus des exigences susmentionnées, lesquelles seraient applicables à tous les types de produits, le Projet de loi 29 cherche également à créer des exigences qui s’appliquent spécifiquement au secteur automobile. Par exemple, conformément à l’esprit de modernité de la législation, le Projet de loi 29 exigera désormais des constructeurs automobiles qu’ils accordent aux propriétaires, aux loueurs et aux réparateurs, l’accès aux données d’une automobile à des fins de diagnostic, d’entretien ou de réparation[17].

La création d’un régime destiné à couvrir les « véhicules gravement défectueux » est peut-être plus importante encore. Ce dernier s’apparente à certaines lois sur les « citrons » que l’on retrouve aux États-Unis, et qui protègent les consommateurs dans les cas d’automobiles qui se retrouveraient à passer plus de temps chez le mécanicien que sur la route[18]. Au Québec, un véhicule gravement défectueux serait défini comme répondant à tous les critères suivants :

  1. Avoir fait l’objet de tentatives de réparation infructueuses :
    1. trois fois pour le même défaut;
    2. douze fois pour des défauts non liés; ou
    3. lorsque la réparation demeure infructueuse après 30 jours dans l’atelier;
  2. Être impropre à son usage normal ou substantiellement moins utile en conséquence; et
  3. Ce qui précède se manifeste dans les 3 ans et 60 000 kilomètres de l’achat.

Si un tribunal estime que ces critères sont remplis, le véhicule est considéré comme entaché d’un vice caché, ce qui peut conduire à l’annulation de la vente. Cette caractérisation doit également être divulguée lors de toute revente ultérieure, ce qui peut affecter de manière significative la valeur du véhicule[19].

Le Projet de loi 29 crée également de nouvelles protections pour les consommateurs de véhicules de location notamment :

  1. Interdiction d’imposer des frais si le service n’a pas été effectué par, ou que les pièces n’ont pas été obtenues auprès d’un OEM ou d’un vendeur agréé par le bailleur[20];
  2. Interdiction d’imposer des frais si le véhicule est retourné avec des pièces de rechange qui ne répondent pas à une certaine norme, à moins que cette norme n’ait été spécifiée à l’avance par écrit[21];
  3. Droit à une inspection gratuite avant la fin du contrat de location, visant à identifier l’usure anormale, et obligation de notification si le bailleur a l’intention de faire une telle réclamation. Le non-respect de ces exigences entraîne la perte du droit de faire des réclamations au moment de la restitution du véhicule.[22]

Enfin, les garanties légales dont bénéficient les véhicules d’occasion seraient également améliorées[23].

Pénalités et sanctions

Avant l’arrivée du Projet de loi 29, toute personne qui ne se conformait pas à la LPC ou à ses règlements commettait une infraction et s’exposait, dans la plupart des cas, à des sanctions pécuniaires comprises entre 600 et 6 000 dollars pour les personnes physiques et entre 1 000 et 40 000 dollars pour les personnes morales[24]. En cas de récidive, ces montants maximum et minimum étaient doublés. Le Projet de loi 29 renforce et diversifie ces sanctions pénales. Les infractions sont désormais regroupées en différentes catégories, chacune donnant lieu à des amendes différentes. Par exemple, les infractions aux règles relatives à la forme et au contenu des contrats de consommation seront passibles d’une amende de 1 500 à 37 000 dollars pour les personnes physiques et de 3 000 à 75 000 dollars dans les autres cas. Pour d’autres infractions, telles que le défaut d’obtention des autorisations requises, la fourniture d’informations fausses ou trompeuses ou le non-respect d’une décision ou d’une exigence de l’Office de la protection du consommateur, les amendes peuvent atteindre 175 000 dollars pour une personne morale et 87 500 dollars pour une personne physique.

En outre, lors de l’examen de ces nouveaux seuils minimum et maximum, le projet de loi 29 exige que les tribunaux prennent en compte six nouveaux critères afin de déterminer le montant des sanctions pénales pécuniaires:[25]

  1. l’activité, les actifs, le chiffre d’affaires, les revenus ou la part de marché de la partie ayant commis infraction;
  2. la capacité de la partie en violation à prendre des mesures raisonnables pour empêcher la commission de l’infraction ou à en atténuer les conséquences lorsqu’elle ne l’a pas fait;
  3. les avantages pécuniaires ou autres tirés ou qui auraient pu être tirés de la commission de l’infraction;
  4. le préjudice économique causé aux consommateurs par la commission de l’infraction;
  5. le nombre de consommateurs lésés ou qui auraient pu être lésés par la commission de l’infraction;
  6. le comportement antérieur de l’auteur de l’infraction en ce qui concerne le respect de la LPC, y compris le défaut d’agir suite aux avertissements visant à prévenir l’infraction.

Sanctions administratives

En plus de réformer de manière significative les sanctions pécuniaires pour les infractions pénales, le Projet de loi 29 crée une nouvelle catégorie de sanctions administratives. Le Projet de loi est actuellement silencieux par rapport aux infractions qui donneraient lieu à des sanctions administratives, laissant au gouvernement le soin d’en décider dans une réglementation future. Cependant, le Projet de loi 29 établit des règles générales régissant ce nouveau type de sanctions,[26] telles qu’un délai de deux ans,[27] et des exigences spécifiques en matière de notification.[28]

Un ajout crucial de cette section est la possibilité de garantir le paiement des sanctions administratives en grevant les biens meubles et immeubles du contrevenant d’une hypothèque légale.[29] Cela signifie que l’Office de la protection du consommateur peut être en mesure de saisir les biens d’un contrevenant afin de garantir le paiement des sanctions administratives.

Il reste à voir quels sont les manquements qui donneront lieu à des sanctions administratives en vertu des futurs règlements qui suivront l’adoption du Projet de loi 29. Ces futurs règlements devraient également établir les montants exacts et la méthode de calcul de ces sanctions administratives.[30] Néanmoins, le montant prescrit ne pourra pas dépasser 1 750 $ pour les personnes physiques et 3 500 $ pour les personnes morales.[31]

[1] Loi sur la protection du consommateur, RLRQ c P-40.1 (la « LPC »)
[2] LPC, art. 34-54.
[3] Projet de loi 29, Loi protégeant les consommateurs contre l’obsolescence programmée et favorisant la durabilité, la réparabilité et l’entretien des biens, 43rd Législature, 1ère session.
[4] Ex. Projet de loi 195 – Loi modifiant la Loi sur la protection du consommateur afin de lutter contre l’obsolescence programmée et de faire valoir le droit à la réparation des biens (43e Législature) et Projet de loi 197 – Loi modifiant la Loi sur la protection du consommateur afin de lutter contre l’obsolescence programmée et de faire valoir le droit à la réparation des biens (42e Législature).
[5] LPC amendée; art. 227.0.4.
[6] LPC amendée; art. 227.0.3. par. 1
[7] LPC, art. 39.
[8] LPC amendée; art. 39 par. 3
[9] Ibid; art. 39.1-39.2
[10] Ibid, art. 39(2)
[11] Ibid; art. 39.3
[12] Ibid; art. 39.5
[13] Ibid; art. 39.6
[14] Ibid; art. 39.7
[15] Ibid; art. 39.6-39.7
[16] Ibid; art. 39.7
[17] Ibid, art. 39.4. La LPC fait souvent référence aux véhicules routiers de façon plus large, mais ici le législateur semble limiter l’exigence aux automobiles, mais exclure les motocyclettes, par exemple.
[18] Ibid, s. 53.1.
[19] Ibid, art. 156 (d.1) et 237.1.
[20] Ibid, art. 150.9.1(b)
[21] Ibid, art. 150.9.1(a)
[22] Ibid, art. 150.17.1.
[23] Projet de loi 29, art. 12
[24] LPC, art. 277, 279.
[25] Ibid, art. 282.
[26] LPC amendée, article 276.1 al.1.
[27] Ibid, article 276.4.
[28] LPC amendée, article 262.3
[29] Ibid, article 276.8.
[30]Ibid, article 276.1 al. 2.
[31] Ibid.

par Emile Catimel-Marchand, Sidney Elbaz, Andrei Pascu, Simon Paransky, Lila Perrier (étudiante d’été en droit) et Ariane Tousignant (étudiante d’été en droit)

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

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